Les Naufragés d'hyboria
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Eléanor

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Message par Nadrina Sam 12 Avr - 17:50

L'homme:
- Voici notre objectif. Ce palais est une véritable citadelle, avec des remparts internes, des défenses magiques et des guerriers à profusion. On ignore combien de magiciens le tiennent. Tu vas t'y introduire en tant qu'esclave pour prendre les renseignements qu'il me faut.

La femme:
- Encore! Pourquoi ne pas y aller, éliminer tout le monde et y faire tranquillement tes recherches?

L'homme:
- Ce n'est pas si simple. La technique que tu nous proposes, bien que profondément subtile et fort louable, reste un peu hasardeuse pour ce qui nous attendra par la suite. Si nous n'identifions pas nos ennemis, nous subirons toujours leurs attaques sur leur terrain, et il n'est pas impossible qu'ils finissent par avoir le dessus.

La femme:
- Nous avons pourtant eu les Magiciens Noirs dans leur repaire en leur rentrant dedans purement et simplement. Je n'arrive pas à croire que les Magiciens des Sables puissent être plus dangereux qu'eux.

L'homme:
- Ils ne le sont peut-être pas, mais la situation n'est pas la même et tu le sais. Tous n'ont pas une vie publique. Je compte sur celui-ci pour identifier les autres. Fais donc ce que je te dis. Nous resterons à proximité.

La femme:
- Si c'est comme la dernière fois, dis-le tout de suite, je m'occupe de tout.

L'homme:
- Je reconnais m'y être mal pris. Tes prestations n'étaient pas indispensables précédemment, mais cette fois-ci, elles le sont.

La femme:
- Mmm... J'ai plutôt l'impression que tu aimes me voir jouer l'esclave.

L'homme:
- Je serais effectivement intéressé si je pouvais en être témoin, mais les défenses magiques font même écran à mes sondes psychiques. Sérieusement, prends le temps qu'il te faut et n'oublies pas que ta tâche première n'est pas l'élimination mais le renseignement.

La femme:
- Pff! Tu parles d'un amusement.



Chapitre 1.


Ben Zighef, le marchand d'esclaves, se savait jouir d'une bonne réputation. Aussi, dans chaque ville où il arrivait, il présentait la primeur de sa collection au personnage le plus puissant. A Al Khir, il ne s'agissait pas du calife, mais d'Isn Ibn Barhul, le grand mage, un enchanteur si puissant que n'importe quel mortel lui aurait cédé tous ses biens s'il lui avait demandé. Ben Zighef savait qu'avec le mage il ne ferait pas forcément les meilleures affaires. Mais le marchand avait dépassé le stade de la simple considération pécuniaire et être un nom agréable à l'oreille Isn Ibn Barhul n'avait pas de prix. Le palais du mage était à la mesure du personnage. Il s'était encore agrandi depuis le dernier passage du marchand. Ben Zighef avait entendu dire que toute la nouvelle aile, logis, tours et remparts, était sortie du sol en quelques minutes grâce à la magie. Elle fut ensuite emplie de richesses, par des moyens ordinaires cette fois, à la plus grande joie de nombreux marchands. Argrep, un confrère et non rival de Ben Zighef, pourvoyeur de pièces inestimables, surnommait publiquement le mage "héritier de tous les pouvoirs", ce qui avait plu à l'intéressé. C'était un titre juste. En effet, depuis l'Armageddon, Isn Ibn Barhul gagnait en influence à mesure que le monde reprenait vie.

Ben Zighef s'y était attendu: malgré ses propos enjôleurs, il ne put traiter directement avec le maître, et il dut se contenter de son intendant, le très respecté Karim Hourphed. Ce dernier était tout de même suffisamment important aux yeux du marchand pour mériter toute son attention.

Dans un salon du palais, Ben Zighef fit défiler sa collection, exclusivement des femmes dont la beauté et le conditionnement entretenaient sa réputation. Devant une collation digne d'un roi, au milieu d'une débauche de luxe, des commentaires et des débuts de négociation furent échangés. On estimait à plus de cinq cents âmes le personnel de Barhul, dont une cinquantaine de femmes pour ses deux harems.

Avant le clou de la présentation, une fille servile à qui un métissage inconnu donnait à la peau sombre une nuance dorée incomparable, Ben Zighef fit entrer une beauté blonde, article toujours très prisé. Au premier regard, l'intendant du palais vit que la fille n'était pas dressée. La peau blanche de celle-ci était très pure, cela pouvait compenser. Le marchand dit à l'esclave d'approcher et de se déshabiller. Elle ne bougea pas. Agacé, Ben Zighef réitéra son ordre avec des mots ribérains. Elle avança craintivement et refusa d'ôter le voile diaphane qui la couvrait. Le marchand se répandit en excuses devant l'acheteur potentiel.

- Pardonnez-moi, seigneur, je n'ai pas eu le temps de bien lui apprendre. J'en ai fait l'acquisition récemment. Elle a changé de propriétaires de nombreuses fois, si j'ai bien compris, et elle est un peu perturbée. Mais son corps, sa délicatesse, valent tout l'or que j'ai versé pour l'avoir.

Ben Zighef fit deux gestes et ses gardes approchèrent, saisirent la fille et lui enlevèrent les deux morceaux de tissu qu'elle portait comme seuls vêtements. Elle cria, fit mine de se débattre, puis mollit, pleurant silencieusement. Les eunuques l'approchèrent encore des maîtres.

- Voyez, seigneur, reprit le marchand, elle n'est pas méchante et sera facile à éduquer. Regardez sa peau, elle est claire, sans tache et sans défaut, sur tout son corps, c'est une rareté. Ses yeux verts ne sont-ils pas magnifiques? Ses cheveux sont si clairs et si légers qu'on dirait un voile de soie. Il existe plus blond, mais ce serait peut-être trop blond, vous ne trouvez pas ?

Karim Hourphed acquiesça distraitement. L'adolescente avait un visage fin, dessiné par de douces courbes. Il n'y avait vraiment rien à redire sur sa perfection, son corps gracile possédait toutes les finesses voulues, pour ceux qui appréciaient les petits gabarits. Après cette inspection minutieuse, les gardes reculèrent sans lâcher la fille. L'intendant pouvait être intéressé. Il demanda :

- Elle parle le ribérain, n'est-ce pas? C'est mieux pour la dresser, nous sommes nombreux à le parler. Bien sûr, elle est vierge?

- Hélas non, seigneur, mais...

Karim Hourphed gloussa sans gentillesse.

- Mais mon pauvre Zighef, dans ce cas, que veux-tu que j'en fasse? Elle est trop belle pour la cour basse, elle n'est pas dressée pour la haute et n'est plus vierge pour le maître.

Les arguments fusèrent de part et d'autre, sous les yeux désespérés de Sylvie. Elle savait que ce grand homme élégant, terriblement sûr de lui, était l'acheteur. A la différence de tous ceux qu'elle avait connus, celui-ci avait un palais, ce qui signifiait la fin des voyages, des rachats sur les marchés, mais pour quelle prison? Elle qui avait cru toucher le fond, chutait encore plus bas dans l'enfer de la vie.

Ben Zighef avait fait passer la blonde juste avant la pièce finale uniquement pour atténuer le seul défaut marchand de cette dernière, elle n'était plus vierge non plus. La blonde fut cédée comme pièce supplémentaire à un lot. Karim Hourphed contempla ses acquisitions, deux pour la cour basse, deux pour la haute et une, peut-être, pour le harem des invités. Il fit remarquer au marchand:

- Pourquoi laisses-tu ce collier sur la blonde ? Il est particulier.

Le marchand garda un ton badin, cherchant un moyen de ramener la conversation sur une sixième vente possible.

- Celui à qui je l'ai achetée n'avait pas réussi à lui enlever non plus. Il est trop près du cou pour mes pinces grossières, je n'ai pas voulu risquer d'abîmer la fille.

Hourphed regarda de plus près. Une bande de métal cuivré était assujettie à un disque sombre, émaillé, dessiné de veines rouges semblables à celles du marbre. L'intendant supposa qu'un revendeur d'esclaves signalait ainsi ses possessions, presque aussi efficacement qu'un marquage au fer. Hourphed s'adressa à l'esclave dans un ribérain parfait.

- Qui t'a mis ce collier ?

Sylvie n'osait pas regarder son acheteur. La simple pensée pour celui qui avait scellé l'objet autour de son cou opprimait sa respiration. Que l'homme tout près d'elle put faire pareil ou pire, car il n'avait pas l'obligation de la laisser en bon état pour une revente, la plongeait dans la terreur. Elle ne put prononcer un mot. Devant cette réaction et avant que le marchand ne s'éclipse, Hourphed voulut vérifier qu'elle n'était pas idiote.

- Tu sais parler, alors réponds-moi. Je suis Karim Hourphed, l'intendant du grand Isn Ibn Barhul. Appelle-moi maître Hourphed. Je ne fais jamais de mal à mes filles sans une bonne raison. Alors ?

Sylvie réussit à balbutier.

- Il... Il m'a violée... Il m'a fait du mal...

- Connais-tu son nom ?

Elle secoua la tête.

- Dans quelle région te trouvais-tu quand tu étais à lui ? Possédait-il beaucoup d'esclaves ?

La fille fut prise de tremblements. Hourphed abandonna le sujet. Il leva ses longs bras au ciel et clama:

- Par tous les dieux, celle-là va me coûter plus en attention que le prix que je l'ai achetée.


*****


L'intendant mit en place les autres filles, puis s'occupa du sujet le plus contrariant de cette fin de journée, la blonde, de nouveau vêtue de ses voiles. Il fit venir une responsable des esclaves de la cour basse et s'adressa à elle comme si la nouvelle n'existait pas. Pourtant, il s'exprima en ribérain.

- Zira, tu vas t'occuper personnellement d'une esclave achetée aujourd'hui. Elle n'est absolument pas dressée. Apprends-lui la langue au plus vite et qu'elle sache se tenir. Fais-lui bien comprendre quels sont les désavantages à être une esclave de mauvaise qualité. Je la jugerai bientôt. Sois... prudente, efficace. Il semblerait qu'un revendeur l'ait maltraitée, il faut qu'elle reprenne le dessus.

La responsable, une esclave elle aussi, gardait les yeux au sol, à demi courbée, hochant la tête à chaque demande de l'intendant.

Karim Hourphed était un homme grand, au teint aristocratique avec des yeux et des cheveux bruns. Son visage rectangulaire le rendait très reconnaissable, ce qui confortait son charisme, sans lui enlever un certain charme. Son élégance était exemplaire: il s'habillait toujours d'une combinaison unie, couverte par une sorte de cape du désert adaptée pour la vie citadine. Aujourd'hui, il portait un ensemble brun et une cape blanche. L'une et l'autre pouvaient être noire et rouge, crème et bleue... Approchant de la trentaine, Karim Hourphed s'enorgueillissait d'avoir un talent de maître pour juger les esclaves. Justement, quelque chose le dérangeait à propos de cette blonde. Enfin, il porta son attention sur elle, toujours prostrée et sous surveillance.

- Tu viens du Ribéra ?

- Oui.

- Il y a pourtant peu de blondes là-bas.

- Mes parents sont venus d'Azlorn, mais je suis née au Ribéra.

- Je vois. Tu commences à parler, c'est bien. Comment t'appelles-tu ?

- Sylvie Mayer.

La responsable des esclaves et même le garde de faction tressaillirent à cette faute terrible, alors que l'intendant affichait un sourire dur. Il s'exprimait toujours de façon sèche et rapide.

- C'est un nom agréable. Je vais te faire une proposition très rare. Comme tu as été mal prise en main par tes revendeurs successifs, tu n'es pas responsable de tes fautes. Je t'accorderai le privilège de garder ton prénom si tu apprends vite.

Sylvie releva les yeux. Son regard, empli de désespoir, fut traversé par un éclat farouche, annonciateur de complications. L'intendant congédia les deux femmes d'un revers de main. La responsable empoigna la jeune fille par le bras. Zira parlait le ribérain avec un rude accent.

- Première chose: ne prononce plus jamais ton nom de famille; c'est le fouet immédiatement ou au mieux la baguette. Tu es une esclave, tu n'as plus de passé, plus d'avenir, et plus de présent non plus.

Sylvie se dégagea d'une secousse et se planta sur place, semblant prête à relever tout défi. Face à une femme, elle se sentait moins impuissante et les lambeaux de sa fierté résistèrent. La responsable était à peine plus grande qu'elle, mais plus imposante et sans doute plus forte, vu sa poigne. Son visage doré était incontestablement issu une peau de blanche. Ses cheveux châtain clair tirés en arrière en un chignon, durcissaient un visage qui ne l'était pas de nature. Elle devait avoir vingt-cinq ans. Zira calma le jeu et dit d'un ton moins rude :

- Tu es ici sans espoir de sortie, il faudra t'y faire. Franchement, la vie ici est supportable. Commence donc par te dire ceci: ailleurs, c'est souvent pire. Ensuite, penses que si tu satisfais les maîtres, ce pourra être mieux.

Sylvie bondit sur la possibilité.

- On peut être affranchie?

- Non, jamais. A part les gardes, deux cuisiniers et l'entourage du maître, il n'y a que des esclaves ici, hommes et femmes, surtout des femmes. Mais il y a différentes façons de vivre le servage.

A présent, l'adolescente retrouvait même de la morgue.

- Vraiment? Je serai pourtant toujours un corps à la disposition de n'importe quel souhait, sans même avoir le droit de penser. J'ai déjà appris ceci de l'esclavage. C'est bien, non?

Zira se mura derrière un masque neutre.

- Viens, tu vas déjà avoir des vêtements.

Alors que les deux femmes parcouraient les nombreux couloirs et hautes salles de l'immense palais, la responsable nomma quelques lieux.

- Il y a trois sections à la cour basse: la centrale et deux ailes. Je suis responsable uniquement de la centrale. On communique très peu avec les ailes. Nous nous occupons de la nourriture et du blanchissage de tout le monde, des esclaves comme des gardes. Il y a des hommes pour les travaux de force. Je ne les commande pas non plus. Nous restons chacun de notre côté. Tu voulais en savoir plus sur les différentes conditions de l'esclavage? Si tu te rebelles, si tu ne veux rien apprendre, tu finiras avec les hommes, aux écuries ou aux égouts et les nuits se passeront dans leur chambrée.

Sylvie frémit. L'horreur inspirée par cette idée allait jusqu'à lui donner la nausée. Zira enchaîna sur un ton presque joyeux.

- Le travail dans le secteur central est plus intéressant qu'aux ailes, car on s'occupe aussi de l'approvisionnement. Pour cela, on sort parfois en ville.

La blonde feignit un intérêt mitigé mais, pour elle, l'extérieur était encore synonyme de liberté.

- Ah oui?

- Nous ne sommes pas prisonnières de ces murs. Nous pouvons même sortir tête nue. Personne n'oserait toucher une femme marquée du sceau d'Isn Ibn Barhul.

- Marquée?

- Oui, le marquage au fer rouge. Tu n'as pas encore appris cela de l'esclavage?

Sylvie s'arrêta net.

- Non ! Je ne veux pas !

Devant l'horreur qu'affichait la fille, Zira regretta sa verve ironique et elle la prit d'un geste protecteur par l'épaule.

- Du calme. Tu ne seras peut-être pas marquée. Maître Hourphed ne m'a pas parlé de marquage. Il pense sans doute te faire monter dans la haute cour une fois éduquée. Ce serait normal, les blanches sont toutes là-haut. Elles sont aussi marquées, mais pas celles du harem des invités.

- Un harem! Jamais!

- Bon, d'accord, on verra bien. De toute façon, il faut déjà que tu fasses tes preuves. Allons, continuons.

Les deux femmes croisèrent de nombreuses autres esclaves vaquant à diverses occupations. Toutes étaient vêtues d'une grande djellaba couleur crème, un drapé qui ne laissait apparaître que leur visage. Sylvie constata que toutes étaient maures. Aussi elle fit remarquer:

- Tu es blanche. Que fais-tu là? Je te trouve pourtant très belle.

- Trop vieille, mon enfant. Je n'aurais jamais été achetée ici, sans ma grande expérience.

- C'est pourquoi tu es responsable.

- Non, ça c'est une autre histoire. Autant que tu le saches, car il faudra te méfier: de nombreuses esclaves de la section basse jalousent les blanches. Elles sont intouchables dans la haute cour, mais certaines redescendent souvent, comme punition. Même les vieilles restent à servir là-haut. Leifa, l'ancienne responsable, avait une forte autorité sur tout le monde. Pour mon malheur, c'était l'une des pires jalouses des blanches. Je lui ai tenu tête comme j'ai pu, si bien que maître Hourphed m'a nommée responsable à sa place. C'était surtout pour la punir, elle, et briser son cercle d'influence. L'intendant a raison de ne pas laisser les groupes se former, ni même les amitiés. Apprends que si on te voit trop discuter, même en travaillant, on peut te dénoncer et tu seras punie. Un esclave n'a rien, ni souvenir, ni ami.

- Assez ! cria Sylvie.

La responsable contra un risque d'hystérie en attrapant de nouveau la fille par le bras et en l'emmenant à travers les couloirs en marchant à grandes enjambées. Elles entrèrent dans la lingerie. On dépouilla Sylvie de son emballage de voiles. La nudité devant les quatre femmes présentes ne la gêna pas, pourtant le regard que Zira posa sur elle était plus sévère que celui des marchands d'hommes.

- Mon Dieu, c'est une vraie baguette ! A peine des mandarines pour servir de seins. Ici, on aime les hanches qui donnent des formes, ma fille. Tout ce que l'on peut faire c'est bien te nourrir pour garder tes cuisses. Il en faudra qui aiment vraiment l'exotisme. (Puis, elle ajouta sur un ton plus doux.) Tu as un joli visage fin, agréable et jeune, c'est un joli ovale très plaisant...

Zira faillit ajouter quelques paroles gentilles, mais se retint et reprit son ton et ses gestes brusques. Elle choisit une djellaba de taille appropriée.

- On va ajuster ta robe. Regarde bien comment la mettre. On resserre la taille et on plisse sur les hanches. Comme cela, à chaque fois que maître Hourphed te verra, il songera à faire monter dans la haute cour ta jolie petite silhouette.

Sylvie se retrouva donc avec une robe d'esclave drapée de façon fort peu conventionnelle. Zira fut à moitié satisfaite alors que les lingères complimentaient leur chef et la blonde.

- Bon, conclut la responsable. L'heure des repas approche. J'ai beaucoup de choses à faire. Tu vas me coller aux babouches. Tu es mon ombre. Tu ne me quittes pas, même si on t'appelle. Tu ne fais aucune tâche. Tu ne vas même pas te soulager. Je t'ai dit pourquoi.

- Pourquoi ?

- Si les femmes réussissent un jour à te coincer, ce n'est pas la peine de protéger ton visage, elles n'oseraient pas le frapper. Celle qui t'abîmerait finirait sans doute écorchée vive, c'est la sentence. En revanche, mets tes bras comme ça pour protéger tes seins. De toute façon, elles savent comment faire mal sans laisser de marques.

Ce que vivait Sylvie était pire que ce qu'elle avait pu imaginer.
Nadrina
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Message par Nadrina Lun 14 Avr - 16:28

Chapitre 2

   Des heures durant, Zira, Sylvie sur ses talons, commanda, vérifia, inspecta, rectifia, tout en nommant en langue kandiquienne les objets et les actions. La jeune esclave était tellement sollicitée par ce flot d'informations qu'elle en oublia sa condition.

Bien après le coucher du soleil, les esclaves mangèrent les copieux restes des repas des maîtres et des hommes libres. Sylvie dévora, alors que Zira continuait à lui expliquer le fonctionnement du palais, tout en mangeant. La responsable ne lui avait présenté aucune autre femme. C'était typique de ses préceptes: il n'y avait autour d'elles aucune personne à connaître, que des esclaves, des unités obéissantes accomplissant seulement les tâches qui leur incombaient. Ce concept glaçait Sylvie, mais la solitude de l'esclave était une idée rassurante comparée au viol collectif. La jeune femme demanda à son aînée :

- D'où viens-tu ?

Zira répondit rudement.

- Qu'importe ! Tu as la tête dure. Nous sommes esclaves, nous n'avons plus de passé, inutile d'en discuter.

Un ange passa, puis, la responsable reprit sur un ton radouci.

- Je suis née en Azlorn et mon père venait du Ribéra. Tu vois, nous nous sommes en quelque sorte croisées, pour finir ici.

- Cela fait longtemps que tu es esclave ?

- Des années. Cinq ans. Mais ce ne furent pas les pires moments de ma vie, à part chez mon deuxième maître. Mes parents ont été tués dans une guerre quand j'avais douze ans. Je fus prise par les mercenaires et j'ai servi à leurs plaisirs. Je suis passée de bras en bras. Je raconte cela pour que tu voies que l'esclavage ici, n'est pas pire que la liberté ailleurs.

Sylvie s'insurgea.

- J'étais heureuse avec ma famille ! Ils ont été tués par les esclavagistes qui m'ont capturée. Ma jeune sœur aussi a été emmenée. Nous avons été séparées.

La blonde garda pour elle son désir brûlant de retrouver le dernier membre de sa famille. Zira se fit plus maternelle.

- D'accord Sylvie, nous parlons d'avant. Mais ce sera la dernière fois. Enlève de ta tête tout ce que tu diras. Cela fait longtemps ?

- Presque un an, je crois.

- Un an de jeunesse perdu en intermédiaires! Quel gâchis. Un de tes revendeurs t'a maltraitée, si j'ai bien compris.

- Oui, il...

Tout ce temps, Sylvie avait voulu hurler son cauchemar. A présent qu'elle avait l'occasion de se confier à une personne qui pouvait la consoler un tant soit peu, elle ne parvenait pas à s'exprimer. Elle avait même oublié les traits de ce visage qui pourtant revenait dans tous ses cauchemars.

A travers un récit succinct que Sylvie parvint à ânonner, Zira vit sa douleur profonde. Celle-ci conclut:

- Il voulait te faire mal... Il a réussi. Je sais ce que c'est. Ne te laisse pas vaincre. Tu es plus forte maintenant. Cela ne t'arrivera sans doute plus jamais, surtout si tu sais te protéger en ton cœur. Il faut tout oublier petite, passé, présent et avenir. Tu connaîtras encore la souffrance, mais elle passera, comme tout. Mais ici, tu ne dois pas seulement craindre la détresse. Méfie-toi surtout des joies, car ce sont elles qui te conduisent au désespoir. Oublie tout, ne pense jamais à rien.

Des larmes venues du plus profond du cœur de Sylvie roulèrent sur ses joues.

- Ce que tu dis est affreux.

- Oui, la vie est affreuse. Mais encore une fois, je pense qu'ici tu auras une vie plus supportable qu'elle aurait pu l'être si tu étais restée libre. Imagine un mari qui te bat.  Lui aussi peut te violer. Imagine la maladie. Ici on est soignées. Imagine les guerres qui peuvent balayer ton village d'une heure à l'autre, emportant tous ceux qui te sont chers. Ici, nous sommes dans le lieu le mieux défendu du monde: il y a des murs magiques qui entourent ceux de pierre. Une armée de démons ne pourrait passer, ni par le sol, ni par le ciel.

Zira revint sur un sujet délicat qu'elle aborda franchement.

- Cela fait combien de temps que tu as été violée ?

- Plus de dix jours. Peut-être deux semaines, je ne sais plus.

- Il faudra que tu surveilles ton corps. Si tu n'as plus tes cycles, parles-en à maître Hourphed. Si, comme je le crois, il a des projets pour toi, il fera arrêter ta grossesse pour que tu ne sois pas abîmée. Maître Isn Ibn Barhul a des acolytes magiciens qui peuvent faire cela sans que tu subisses le moindre mal.

Sylvie n'avait pas songé à cette éventualité. Elle demanda:

- Tu as eu un enfant, toi ?

Zira se crispa un instant.

- Non, j'ai eu des problèmes, quand j'étais jeune.

Puis, après un silence, la responsable déclara le contraire.

- J'ai un enfant, un garçon. Il est né esclave, bien sûr. Maintenant nous ne parlerons plus de l'extérieur, jamais. Nous sommes d'accord?

Sylvie se contenta de hocher vaguement la tête.


*****

La responsable accomplit encore quelques vérifications, notamment pour s'assurer que tout irait bien du côté des services de collation pour les gardes de nuit, puis elle conduisit Sylvie dans les profondeurs du palais.

Zira prit une lampe à huile qui était la seule source lumineuse d'un garde qui se morfondait. Celui-ci resta pourtant à son poste car, en fait, les femmes ne s'éloignèrent pas suffisamment pour le plonger dans l'obscurité. Le couloir sombre était propre, carrelé au sol et aux murs. La responsable ouvrit une porte, découvrant une pièce sans autre issue, contenant comme seul objet une cage cubique faite d'un fin treillage de cuivre, suspendue à un pas du sol. Zira laissa la lanterne dans le couloir, entra dans la pièce et ouvrit tout un côté de la caque d'un mètre de côté. Sylvie ne comprenait pas, mais son cœur se mit à battre comme une cloche d'alerte.

- Qu'est-ce que...

- Enlève tous tes vêtements et rentre là-dedans.

- Quoi! Pourquoi?

Zira soupira.

- J'aurais dû parier que tu me le demanderais. Il n'y a pas de pourquoi ici. Tu fais ce qu'on te dit. Si un maître te dit de souffrir, tu souffres. S'il veut...

Sylvie se révolta.

- Tu ne me feras pas entrer là-dedans, tu n'es pas un maître, tu n'as pas le droit.

L'aînée eut un sourire sans joie.

- Je ne suis rien, mais tu es encore moins que moi. Fais-le ou le garde te fera entrer de force. Mais il y a bien une bonne raison pour laquelle tu vas entrer dans la cage. Normalement, pour te dresser, je devrais te faire subir les châtiments en vigueur ici, uniquement pour que tu connaisses ce qui t'attends en cas de désobéissance ou d'erreur. L'isolement dans le noir, enfermée dans cette cage est le premier. Je t'épargnerai les autres.  Disons que tu as eu assez de mauvais traitements comme cela. On réserve l'isolement à celles qui manquent d'entrain ou qui ont déplu à un maître. On y passe un, deux, trois ou quatre jours sans manger, des fois même sans boire. Tu fais directement tes besoins à travers les mailles du fond. Tu verras, on ne peut prendre aucune position confortable et le contact du métal devient vite douloureux. Il est presque impossible d'y dormir. Le plus pénible est l'attente: sous terre, sans jour, sans nuit, alors qu'aucun bruit ne filtre jusque là, on a l'impression d'être abandonnée durant des semaines. Enlève ta robe, je ne veux pas qu'elle soit souillée.

Sylvie tremblait de tout son corps, mais la révolte montait en elle.

- Viens donc me l'enlever.

Zira recula et sortit de la pièce.

- Ici ! Ordonna-t-elle au garde.

L'homme approcha. Sylvie, impuissante, s'effondra. Elle se dévêtit en pleurant. La responsable révoqua l'homme avec plus de politesse qu'elle n'en avait usé pour l'appeler. La jeune était désespérée.

- Je n'ai rien fait de mal. Ne m'enferme pas là-dedans, je t'en prie Zira. Je croyais que tu...

Le ton de la responsable fit aussi mal que la pierre d'une lapidation.

- Tu croyais quoi? Que je serais ton amie? Tu as des oreilles pour entendre, mais pas de cerveau pour écouter. Je t'ais dit ce que valent ici l'amitié et la joie. Je suis bien la dernière personne à prendre comme amie. Je ne risquerais pas ma position pour toi, petite sotte. Si tu n'apprends pas, je dirai à maître Hourphed que tu ne peux pas être dressée et là, ce sera à la grâce des dieux.

Zira, avec une poigne de fer, saisit la fille et l'enfourna dans la cage pendant que cette dernière était trop atterrée pour résister. La responsable verrouilla la porte de la cage avec une clef. Puis, elle reprit sa leçon.

- La cage est une punition légère. Moins indolore, vient ensuite la baguette. On peut en recevoir des coups durant des heures sans être définitivement marquée. Ce n'est pas dangereux, mais on s'en souvient bien. Viennent ensuite les fouets. Ici, il y a trois catégories. Quand un maître dit premier, deuxième ou troisième, on sait à quoi s'en tenir. Le fouet de soie n'est pas pire que la baguette. Le deuxième fouet est une lourde tresse de fibres rêches. Il fait d'énormes bleus et marque longtemps, des fois définitivement quand on en reçoit plus de quinze coups. On ne rigole pas avec lui. La terreur est le troisième, le fouet de cuir. Il blesse. La peau éclate sous ses coups, c'est une douleur totale. Si on survit à la perte de sang, l'infection a toutes les chances d'achever le travail. Une nymphette comme toi ne survivrait pas à dix coups du troisième. Fais de beaux rêves.

Comme Zira s'éloignait, Sylvie se mit à crier, à l'insulter des pires noms. La responsable répliqua avant de refermer la porte de la cellule.

- Oui, déteste moi, c'est autant de souffrances que tu t'épargneras.


*****


Tout le lendemain, la tension fut visible entre les deux femmes, on pouvait même parler d'hostilité. Sylvie maudissait intérieurement Zira. Cette dernière la sollicitait constamment, la forçant notamment à répéter les mots qu'elle lui faisait apprendre jusqu'à ce qu'elle les prononce correctement. Or, la jeune les oubliait presque aussitôt. La responsable l'admonestait et lui envoya même une gifle, tellement la mauvaise volonté de la nouvelle était évidente. Sylvie se buta alors complètement et ne desserra plus les dents.

- D'accord, conclut Zira, je vais continuer à t'apprendre tout ce qu'il faut. Tant pis pour toi si tu n'as pas compris ou si tu oublies, je ne me répéterai pas. A ce petit jeu, c'est toi qui seras détruite quand maître Hourphed te testera.

Les choses restèrent en l'état alors que l'après-midi finissait. Sylvie suivait son aînée comme une ombre mais n'écoutait plus. Toute la colère issue de la souffrance et des humiliations se déversait en elle. Incontestablement, la jeune femme prémédita son geste, mais était-elle maîtresse de ses actes ? En cuisine, lors des préparatifs du dîner, elle saisit un grand couteau de cuisine et le brandit. Zira sentit ce brusque déplacement. Elle se retourna et recula d'un même mouvement, ce qui lui évita d'être poignardée dans le dos. Les membres du personnel, une vingtaine de personnes, se mirent immédiatement à couvert comme s'ils étaient la cible d'archers. Deux gardes et le chef cuisinier accoururent. Maintenant que son ennemie la regardait droit dans les yeux, Sylvie ne parvenait plus à tenter une seconde fois son geste.

- Il n'y a pas de problème, cria la responsable, tout va rentrer dans l'ordre.

Les hommes libres s'immobilisèrent à quelques pas.

- Et maintenant quoi? interrogea Zira. Je te fais peut-être devenir esclave, mais ce sont des centaines de personnes, c'est tout un pays qui t'emprisonne. Tue-moi et tu verras aussi la mort, en pire.

Sylvie cracha toute sa haine et son désespoir.

- Mais je ne veux plus vivre! Mais toi, je vais te crever avant...

Suivit une bordée d'insultes gagnant en intensité. Zira ne bougea pas. Ses yeux étaient calmes et terrifiants comme ceux d'une statue. Elle leva lentement une main conciliatrice.

- Calme-toi. Donne-moi ça et tout s'arrangera.

La rage de la jeune diminua en intensité. Sylvie agit avant de ne plus en avoir le volonté. Elle frappa cette invite au servage. Elle toucha l'avant-bras de toutes ses forces. De son autre main, Zira saisit le poignet armé et le tordit. Non seulement Sylvie laissa échapper le couteau de ses doigts devenus sans force, mais c'est tout son corps qui capitula. Les gardes accoururent. Encore une fois, la responsable les arrêta en usant d'un ton ferme.

- C'est bon. C'est fini. Il n'y a plus de problème. Je m'en occupe.

Pliée en deux par la prise de Zira sur son poignet, Sylvie tendit l'autre bras pour ramasser le couteau. L'aînée devina son intention et repoussa l'arme d'un coup de pied. D'une voix pleine d'humeur, la responsable cria à toute la salle de reprendre le travail. D'une secousse, elle força la jeune à la regarder dans les yeux, ce qui finit par enlever toute velléité à cette dernière. Zira tendit son bras blessé et cria un ordre bref, à moins que ce fût un nom. Une esclave accourut avec une paire de ciseaux. Elle découpa la manche qui se gorgeait de rouge. Sylvie vit le sang de sa tortionnaire couler au sol en un fin filet, jaillissant d'une coupure très profonde. On noua une serviette propre par dessus pour juguler l'hémorragie. C'est dans cette pause figée que Zira exprima son mécontentement utilisant l'azlornais, aux intonations gutturales, la langue des parents de Sylvie.

- C'était stupide, ma fille. Tu es une tête de bois, sous ton joli minois. Tu viens juste de tirer sur le noeud coulant qui t'étranglait. J'aurais été une esclave de la haute cour, tu aurais été écartelée pour m'avoir abîmée... Et moi j'aurais été fouettée et je me serais retrouvée déclassée pour m'être fait blessée. Si tu veux vraiment me nuire, apprends bien, passe dans la haute cour et là, refuse d'obéir à un maître. Ton châtiment sera léger, mais le mien beaucoup plus lourd, car je t'aurai mal dressée.

Zira lâcha enfin le poignet tourmenté. Elle fit pivoter la jeune d'une tape sur l'épaule et l'agrippa par les cheveux pour la conduire tout droit aux cages. Avant d'abandonner la prisonnière, la responsable prononça la sentence.

- Demain, on reprend tout depuis le début. Ce sera ta dernière chance de ne pas te retrouver une marche plus bas en enfer.
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Message par Nadrina Mar 15 Avr - 16:49

Chapitre 3



Quand la porte de la cellule se rouvrit, Zira déclara sans préambule :

- Toutes les consignes du matin sont données, nous avons le temps de prendre un bon bain.

La salle d'eau pour les esclaves de la cour basse était une grande pièce tout en longueur, haute, éclairée par de minuscules ouvertures touchant le plafond. Des patères étaient alignées sur un côté. De l'autre, une rigole d'écoulement passait au sol. Des barriques plus ou moins pleines étaient réparties là, mais en fait de bain, il s'agissait plutôt d'un lavage corporel à la brosse ou au mieux une douche, puisque, expliqua Zira, chaque esclave avait droit à deux seaux d'eau par jour, un pour se laver, un pour se rincer. En revanche, même pour les servantes, sels et parfums étaient à disposition. Il fallait être esclave du harem des invités pour avoir de véritables bains aux grands thermes.

Quelques autres femmes vaquaient à leurs ablutions. Elles semblaient faire des efforts pour ignorer la responsable, peut-être pour ne pas attirer de récriminations. Zira avait tout son avant-bras bandé. Sylvie réalisa que son aînée ne pouvait plus se servir de sa main. Comme la jeune ne parvenait pas à raviver sa colère, la honte la gagna. Elle resta muette mais se montra très conciliante.

Zira frotta le dos de la blonde. Ses doigts calleux comme ceux d'un vannier n'empêchaient pas ses gestes d'être doux. Elle chantonna quelques mots en un patois azlornais presque incompréhensible pour Sylvie.

- Comme l'eau lave le corps, que celle-ci emporte les peines de la veille et laisse un esprit pur.

Elles échangèrent ensuite leur rôle. Sylvie fut frappée en voyant trois marques, dont une énorme, au niveau de l'omoplate droite. Deux d'entre elles comprenaient un X. La jeune passa ses doigts menus sur les sillons de peau brûlée.

- Finalement, commenta Zira, elles me procurent presque de la fierté, même si j'ai perdu beaucoup de valeur à cause d'elles. Je crois que personne ici n'a eu trois maîtres. Celle de maître Isn Ibn Barhul est la plus petite, la seule qui n'est pas barrée. A mon sens, une marque discrète signifie que le maître apprécie plus la beauté des corps que l'exhibition de ses possessions auprès des autres.

Sa gorge de Sylvie se noua à ces mots d'une personne qui parlait de sa souffrance avec un tel détachement. Ce n'était pas tout, lorsque la lumière tombait en oblique sur le dos de Zira, la jeune voyait des lignes claires sur la peau dorée. Les mots sortirent d'eux-mêmes.

- Tu as été fouettée ?

- Oui. Le pire fut de survivre à trente coups du troisième fouet. C'est uniquement parce que j'ai été soignée par magie que j'ai survécu. Urten était un fou qui prenait plaisir à détruire âme et corps. Il allait jusqu'à faire des miracles en soins pour mieux recommencer. Tu n'as pas un mauvais maître, je te l'ai dit.

Sylvie eut envie de présenter ses excuses pour son geste de la veille, mais tout ce qu'elle aurait pu dire lui sembla ridicule.

Après s'être rincée, Zira, de sa main valide, peigna les cheveux de la jeune femme, puis les brossa, encore et encore, alors qu'ils séchaient. Ils acquirent brillance et gonflant.

- Tes cheveux sont magnifiques. Tu iras au harem des invités, cela ne fait aucun doute.

Sylvie tressaillit. Alors, Zira reprit sur un ton très doux.

- De quoi as-tu peur? Que ton corps soit encore pris? Ce corps n'est même pas à toi. Pourtant, il te retient prisonnière là où tu ne veux pas être. Il peut te faire souffrir et t'affaiblir. Je trouve qu'il n'y a pas à hésiter quand il peut servir, il faut qu'il paie un peu ce qu'il nous coûte. Moi, par exemple, je n'ai pas tes charmes juvéniles pour prétendre à la douceur du harem, mais mon corps me sert encore. Ce n'est pas en prenant la place de Leifa que j'ai été débarrassée d'elle: j'avais surtout de mon côté des gardes que j'avais charmés pour me protéger en me garantissant une vengeance. Les fidèles de Leifa ont préféré ne pas insister et toute sa puissance s'est effondrée. Maintenant, même si elle redevenait responsable, elle ne pourrait plus refaire sa cour: trop de méchancetés ont été échangées entre elle et ses anciennes comparses, au moment où elles l'ont rejetée. Ici, les rivalités sont terribles, surtout qu'il n'y a rien à gagner, à part peut-être l'illusion d'avoir un peu de pouvoir sur les plus faibles. Je te conseille de te faire quelques amis chez les soldats.

Sylvie tremblait à cette idée.

- Il faudrait que... j'aille avec eux ?

- Oui, avec un à la fois, jeune fille, et surtout en dehors de leur garde; ce n'est pas parce que ce sont des hommes libres qu'ils sont moins irresponsables que les esclaves. Leur apporter aussi de bonnes choses qui nous restent en cuisine aide beaucoup.

- Je... Je crois que je ne pourrai jamais.

Zira se fit encore plus douce. Sylvie eut envie de se blottir dans les bras de son aînée.

- Tu as eu une très mauvaise première expérience. Les autres iront mieux, crois-moi. Tu y arriveras. Tu as beaucoup plus de caractère que je ne l'aurais cru en te voyant la première fois. J'ai commencé à changer d'avis quand je t'ai enfermée et que tu as manifesté ta colère. Je savais qu'elle venait de la souffrance et qu'elle te submergerait tôt ou tard, peut-être au mauvais moment, ce qui aurait détruit ta vie. Il aurait mieux valu que ce soit ailleurs qu'aux cuisines, mais bon, le mal est sorti et maintenant tu es assez forte pour tout faire. Je n'aurais jamais cru que tu oserais me frapper de face. Peu de femmes auraient assez de volonté pour le faire.

Sylvie se jeta effectivement dans les bras de la responsable et s'effondra en pleurs.

- Oh, Zira! Tu me pardonnes?

La brune l'étreignit tendrement.

- Je ne serais pas là si je t'en voulais. Il y a eu plus de mal que de peur. Maintenant, sèche tes larmes. Mon opinion sur l'amitié entre esclaves n'a pas changé : elle n'est bonne pour personne. A toi de me coiffer.

Lâchés, les cheveux de Zira la transfiguraient. Elle semblait plus jeune, moins rude. Mouillés, ils ondulaient en vaguelettes ordonnées. Ils prenaient du volume en séchant et s'éclaircissaient en un châtain clair, presque blond.

- Tu es très belle, toi aussi, dit Sylvie.

Zira haussa les épaules.

- Je le fus peut-être. Mais ma peau est naturellement un peu trop brune. Mes cheveux ne sont pas assez clairs et mes yeux sont bien trop communs pour les gens d'ici. Dans la haute cour, il n'y a que des beautés rares. Maintenant, au travail.

Non, Zira se sous-estimait pas. Son corps était parfaitement proportionné et sa robustesse ne conduisait pas à la disgrâce, elle avait des formes très agréables à regarder. Sa poitrine n'était pas le dernier de ses atouts. Sylvie l'enviait, elle qui était si menue. Mais celle-ci admirait surtout sa force de caractère de son aînée. Elle essaierait de lui ressembler.

*****

Ce troisième soir, pour la première fois, Sylvie dormit sur un matelas, dans un petit dortoir où Zira faisait se reposer toutes les filles qui assuraient les services de nuit, ou pouvant être appelées à ces heures en renfort. Comme la responsable était souvent appelée la nuit, celle-ci dormait également là, pour ne pas déranger femmes qui travaillaient le jour. Sylvie était toujours l'ombre de Zira et bénéficiait donc d'une protection absolue, y compris contre des regards mauvais. La jeune apprenait rapidement la langue, ce qui augurait la pleine satisfaction de Karim Hourphed.

Le surlendemain, Sylvie assura un service de nuit sans la présence de Zira. Il se déroulait dans la cuisine du mess des officiers avec deux autres femmes, prêtes à répondre à toute demande. La blonde pouvait comprendre tous les ordres usuels sur ce sujet et exprimer certaines réponses. Sa maîtrise de la langue était toutefois trop sommaire pour communiquer avec ses collègues. Ces dernières discutaient entre elles. Elles ne paraissaient pas méchantes mais, pour suivre les préceptes de Zira, Sylvie se méfia tout de même. Elle était pourtant sûre que la responsable lui avait choisi ce poste et ces deux esclaves pour que son premier travail se déroule sans problème. Zira avait-elle aussi pensé qu'à cette place, elle pourrait entrer en contact avec un officier et s'en faire un protecteur? Sylvie était saisie d'angoisse à cette idée. Pourtant, une partie de sa volonté la poussait à aller dans un couloir et proposer ses services au premier venu, juste pour se prouver qu'elle pouvait franchir cette barrière et devenir aussi insensible que Zira.

Un chat devait chasser un rat dans le cellier attenant à la cuisine du mess. Une des deux autres esclaves alla voir. Le temps d'allumer une mèche d'huile, la deuxième la suivit. Sylvie se dit que jamais elle ne pourrait devenir comme son aînée.

Puis plus rien.

*****

Sylvie sut qu'elle était au sol, plongée dans l'obscurité. Un son lui parvint de très loin, reconnaissable quel que soit le pays, celui d'une cloche d'alerte. Une vague lueur revint. Elle tenta de se relever et se retrouva encore une fois allongée. Elle perçut la présence de personnes autour d'elle. Sa vision était trouble, en revanche, son audition semblait trop sensible. On la releva. On lui posa des questions en parlant trop rapidement pour qu'elle ait une chance de comprendre. Elle eut des nausées, on la soutint. Des paroles en ribérain la tirèrent de son malaise.

- Que s'est-il passé? As-tu vu quelque chose?

Karim Hourphed, fébrile, tenait l'esclave nouvellement acquise par les épaules, se retenant pour ne pas la secouer.

- Je... Mes collègues sont parties dans le cellier et puis... du noir.

Hourphed la relâcha et marcha à grandes enjambées à travers la cuisine. Des soldats venaient lui faire des rapports et repartaient aussitôt. L'intendant questionna les collègues de Sylvie qui reprenaient conscience encore plus difficilement. Elles se souvenaient d'être entrées dans la resserre avant de perdre connaissance. La première n'avait rien remarqué et la deuxième avait vu le corps de l'autre au sol avant de recevoir un coup sur la nuque. La responsable des esclaves entra.

- A vos ordres, maître Hourphed.

- Zira, a-t-on fait entrer des tonneaux aujourd'hui? Ou de grands paniers, des jarres, n'importe quoi pouvant contenir des hommes ou même une créature plus petite, un gobelin, par exemple.

- Oui, nous avons reçu deux tonneaux d'ale, deux grands rouleaux de tissu et un tapis.

Hourphed fit signe à des gardes d'approcher, puis ordonna à la femme.

- Conduis-les aux tonneaux et aux autres choses.

Zira partit précipitamment, cinq hommes sur ses talons. Sylvie ne comprenait rien aux échanges de paroles. Elle commit la faute de s'adresser directement à l'intendant.

- J'ai été empoisonnée ?

Karim Hourphed était trop préoccupé par la situation pour relever ce manquement aux règles. Non seulement il répondit, mais il partit dans une réflexion à voix haute alors qu'il était incapable d'immobiliser ses jambes.

- Tu as été assommée, comme plus d'une dizaine d'autres personnes, dans les deux sections du palais. Assommée avec une précision diabolique. Seul un garde est encore dans le coma, je ne pense pas qu'il survive sans intervention magique. C'est peut-être mieux pour lui. Nous avons affaire à un groupe de maîtres assassins. Ils sont partis de la cour basse, ont passé la poterne haute, neutralisant tous ceux qui étaient sur leur passage et forçant trois portes. Ils ont été arrêtés dans une issue piégée magiquement. L'un d'eux au moins est mort à cet endroit, mais il n'y a plus de trace de son corps, ce qui veut dire qu'au minimum deux complices ont déplacé le cadavre. Personne ne peut entrer dans le palais sans être vu. S'ils avaient usé de charmes, ils auraient forcément été repérés par les défenses magiques. Ils sont entrés par un stratagème, ou à l'aide de complices. Ils sont forcément encore là, comme pour le marchand.

Un officier arriva. Sylvie ne put suivre la discussion en kandiquais.

- Karim, trois gardes d'une tour haute ont été assommés, de la même façon que tous les autres. Ils ont pu partir par là. On aurait dû les voir, mais c'est possible. Tu as trouvé comment ils sont entrés ?

- Avec des marchandises ou grâce à un complice.

L'officier, tendu lui aussi, haussa immodérément le ton.

- Aucun de mes hommes n'aurait trahi le maître ! Prends plutôt tes responsabilités.

Zira revint à ce moment, les gardes essoufflés à sa suite. Elle fit une courbette et annonça elle-même le résultat.

- Les tonneaux sont normaux, maître Hourphed, le reste a été déplié dans la journée.

L'officier donna des ordres à l'intendant.

- Nous allons fouiller la moindre parcelle du palais, moi avec mes hommes, toi avec tes esclaves. Faisons cela méthodiquement. S'ils sont encore là, il faut les débusquer.

Les maîtres mirent au point la méthode et Zira reçut sa première fournée d'ordres. Derrière le dos des hommes, elle chuchota à Sylvie :

- Tu peux te lever? Alors redeviens mon ombre.

Tous les esclaves furent éveillés. Tout d'abord, ils éclairèrent vivement tout le palais. La fouille commença ensuite, esclaves mélangés aux soldats. Une peur sourde se transmettait dans tout l'arbre hiérarchique. Quelque part dans les hauteurs du palais, le puissant magicien voulait des résultats.

Zira glissa à Sylvie quelques informations qui lui manquaient.

- La semaine dernière, des gardes ont été assommés de la même façon et des salles avaient été fouillées. Cela c'est passé dans la haute cour. Ici on n'en a pas beaucoup entendu parler. On a fini par suspecter un marchand qui était invité là-haut. Il s'est donné la mort quand on a voulu l'attraper. Je suppose qu'on veut tuer maître Isn Ibn Barhul. Cette fois, il y aura des conséquences

- Tu l'as déjà vu? demanda Sylvie.

- Maître Barhul? Une fois, alors qu'il accueillait la caravane d'un de ses confrères magiciens dans la cour basse. Tu ne le verras sans doute jamais, même en haut. Il a ses propres quartiers et tout ce qu'il faut, m'a-t-on dit: harem, thermes, cuisine, volière, et cætera.

- A quoi ressemble-t-il ?

- Je ne l'ai pas détaillé, tu penses bien. Je dirais que c'est un homme normal, avec une petite barbe assez claire taillée en pointe. A part cela... Mais on le reconnaît facilement, si tu veux savoir: la peur et la puissance se déplacent avec lui. C'est la magie. Il peut faire sortir des bâtiments entiers de terre et ce doit être peu de chose pour lui.

*****

Les recherches n'apprirent rien de plus. Le personnel put souffler en milieu de matinée. Les conséquences de l'intrusion nocturne ne se firent pas attendre. Ni les esclaves, ni les soldats ne purent plus sortir de l'enceinte. Tout le matériel entrant fut dorénavant minutieusement examiné. Le nombre de gardes en faction fut doublé et on plaça même des points de surveillance à des endroits qui n'en méritaient pas, ce qui trahissait la présence d'issues secrètes.

C'est bien plus tard dans la journée que Sylvie s'aperçut de la différence. Elle se jeta sur Zira.

- Je n'ai plus le médaillon, le médaillon qu'on ne réussissait pas à m'enlever!

- Je vois bien de quoi il s'agit. Je me demandais pourquoi tu le portais. Ainsi, maître Hourphed n'avait pas réussi à l'enlever ?

- Il n'a pas essayé, mais le vendeur d'avant n'avait pas réussi.

Zira resta circonspecte un long moment, les lèvres pincées.

- Il aurait fallu le dire tout de suite. Maintenant, ça peut paraître bizarre. C'est bizarre.

- Mais je viens de m'en apercevoir!

- Bon, ne dis rien, sauf si on te pose une question. C'est un grand commandement des esclaves, appliquons-le.

A cette journée pénible, en succéda une autre où de nouvelles habitudes furent prises, puis une autre, et déjà une routine s'installait.
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Message par Nadrina Mer 16 Avr - 15:32

Chapitre 4


Trois jours après l'attaque des assassins, Zira réussissait de nouveau à bouger les doigts de son bras blessé. Comme elle ne pouvait pas encore faire d'efforts avec, Sylvie la seconda tout ce temps. La responsable travaillait sans cesse, allant partout, contrôlant tout. Elle s'activait tellement que les esclaves devaient se demander si elle n'avait pas la capacité de se dédoubler. Pourtant, elle s'affairait sans précipitation et parlait toujours clairement. Sylvie apprenait bien. Si toutefois la jeune oubliait un mot, son aînée le lui rappelait sans jamais montrer d'agacement, ce qui donna à Sylvie confiance en elle-même. D'ailleurs, Zira n'élevait jamais la voix et ne calomniait pas non plus. Pour qu'elle en vienne à menacer, il fallait vraiment que l'esclave concernée montre de la mauvaise volonté. La responsable pouvait quasiment tout obtenir en usant de paroles telles que : "Ce n'est pas grave, je dirai à maître Hourphed que je t'avais donné trop de choses à faire, mais fais attention." Ou pire encore, le simple : "J'attendais mieux de toi, tu me déçois."  

Alors que la responsable s'accordait une pause après avoir vérifié les stocks de farine, d'huile et autres denrées dans la réserve principale, Sylvie éprouva le besoin de cesser de penser au travail, de retrouver un contact humain. Elle demanda à son aînée :

- Zira, ce n'est pas ton vrai nom, n'est-ce pas ?

Elle reçut aussitôt une violente gifle qu'elle ne vit même pas venir. Sylvie ne protesta pas, elle savait où elle avait fauté. Après avoir juré deux fois en azlornais, Zira répondit pourtant de sa voix la plus douce.

- Je suis née Eléanor Brumevald. Une dizaine de sobriquets et d'autres noms ont suivi jusqu'à aujourd'hui.

La blonde baissa les yeux. Elle risquait de recevoir d'autres coups, mais elle ajouta tout de même en balbutiant :

- Je... Je voulais juste que nous soyons amies.

La responsable émit un profond soupir.

- Tu n'es pas idiote, mais sur ce point ça dépasse la bêtise et l'entêtement. Je m'occupe de toi uniquement parce que j'ai reçu l'ordre de te former, de te dresser, jeune fille. Je te dis ce qu'il faut faire pour vivre ici. Si tu n'es pas capable de suivre mes instructions, tant pis pour toi.

Sylvie se redressa.

- C'est faux! Je sais que tu es capable d'aimer, que tu es douce et gentille au fond de toi; sinon tu n'essaierais pas de me rendre plus forte.

- Ainsi, j'aurais encore une âme? Je croyais l'avoir vendue aux démons depuis longtemps. Pense ce que tu veux, aime qui tu veux, je t'aurai prévenue. Mais écoute bien ceci: je t'assure que si un maître me demande de t'étrangler, je le ferai. Je traiterai les scrupules comme les souvenirs et les espoirs: en les oubliant.

Sylvie eut le sang glacé. Zira avait deux visages. Elle eut d'abord peur de ce démon vivant dans la seule personne qu'elle estimait. Puis, un profond chagrin envahit le cœur de Sylvie. Alors qu'elle ne souffrait plus de l'emprisonnement et qu'elle commençait à guérir de la peur des hommes, la jeune avait de la peine pour une femme merveilleuse que la souffrance avait défigurée.


*****


Zira fut convoquée auprès de l'intendant, à ses appartements, dans le haut palais.

- Vous m'avez demandée, maître Hourphed ?

- Viens ici.

L'homme désigna du doigt la limite de la montagne de coussins où il se prélassait. La responsable approcha et s'y agenouilla, en lançant un regard sur l'esclave qui servait du thé à l'intendant. Elle était splendide, grande, avec de longs cheveux noirs et une peau claire. Les vêtements et les bijoux qui la paraient étaient dignes d'une princesse. Ce ne devait pas être une servante de la haute cour, mais plutôt une esclave du harem des invités. Zira se sentit une petite souillon dans sa djellaba. Un claquement de doigts fit se redresser la responsable.

- Cela fait seulement deux mois que tu es là, Zira. Tellement de choses ont changé depuis, j'ai l'impression que cela fait beaucoup plus. En tout cas, je suis pleinement satisfait de toi.

- Merci, maître.

- A présent les esclaves de la cour basse semblent plus heureuses et travaillent mieux. Comment as-tu fait ?

La responsable sembla un instant déroutée.

- C'est vous qui m'avez mise à cette place et qui avez brisé le pouvoir de Leifa. Le reste est venu normalement.

Hourphed sembla jouer un jeu basé sur le dialogue.

- Ecoute ta façon de parler : "brisé le pouvoir de Leifa". Bien sûr, telle était mon intention et tu l'as fait comme je le voulais, mais de toi-même. Tu n'avais jamais été responsable chez tes anciens maîtres, me semble-t-il?

- Non.

- Alors comment as-tu fait pour prendre en main plus de deux cents personnes que tu ne connaissais même pas ?

Zira se sentit autorisée à parler sur un ton moins protocolaire. Elle haussa les épaules.

- J'avais vu comment faisaient mes anciens supérieurs pour l'organisation du travail. Quant aux femmes, c'est la nécessité de me protéger de Leifa qui m'a fait agir. J'ai confié des responsabilités à certaines proches de l'ancienne responsable dont je soupçonnais l'ambition de dominer à sa place. Elles ont rejeté Leifa pour chercher mes bonnes grâces.

Il était impossible de deviner les pensées de l'intendant derrière son long visage.

- Je sais cela, c'est exactement ce qu'il fallait faire. Tu es très intelligente.

Zira fut réellement stupéfaite de recevoir ce compliment.

- Intelligente, moi ? (L'idée fit son chemin et la femme conclut:) J'aurais peut-être pu être intelligente si j'avais reçu une éducation. Je n'ai pas eu la chance de naître esclave. Pour survivre, j'ai simplement appris plein de trucs... heu... stratagèmes.

- Comme quoi?

Zira haussa de nouveau les épaules, comme si ces détails n'avaient plus de signification.

- Se mettre sous la protection d'un homme, tout en laissant un autre espérer. Le premier accorde alors plus d'attention et l'autre peut servir de nouveau protecteur si le premier devient trop... possessif.

- Je vois. Tu es précieuse. Nous avons peu de filles capturées ayant été revendues deux fois. La plupart sont nées esclaves, je ne t'apprends rien. Tu sers bien en bas, mais tu es trop belle. Tu serviras ici.

- Oh! Merci maître!

Hourphed leva la main pour calmer cet enthousiasme.

- N'espère pas toutefois entrer dans le harem des invités.

- Non.

- J'envisage de mettre Nayma pour te remplacer.

- Votre choix est bon pour obtenir un excellent travail, mais il faudra surveiller Djamilla qui la déteste.

- Tu suggères donc Djamilla?

- Il y aurait moins de tensions et de risques de problèmes, mais le travail serait moins bien fait. Votre choix est le meilleur, maître Hourphed.

L'intendant fut ravi, non pas tant du compliment, mais d'avoir ainsi mis en avant toute l'habileté de Zira. Il conclut:

- Je continuerai à surveiller. Même si je ne dis rien, je sais tout.

L'homme sembla attendre une réplique de l'esclave, mais elle ne vint pas. Il reprit donc sur un autre sujet.

- Dans la cour haute, je n'ai jamais laissé une fille prendre le dessus, pas sur autant de monde, en tout cas. Une mauvaise ambiance ternit les teints. Toute l'organisation s'y fait en petits groupes autonomes, tu le verras. Tu vas d'abord servir afin de connaître ce qu'il faut. Ensuite, car je ne doute pas que tu me donneras satisfaction, tu seras responsable d'une tâche ou d'un secteur.

Zira s'applatit au sol.

- Je ferai tout mon possible, maître Horphed.

Elle fut congédiée d'un geste de la main. L'ancienne responsable hésita.

- Maître?

- Quoi?

- La jeune dont vous m'avez confié le dressage est pour ainsi dire prête.

- Déjà!

  - Elle retient facilement et je connais les faiblesses qui changent une prisonnière en esclave. Elle parle suffisamment la langue pour servir, mais elle est encore fragile, toujours suite à ce que lui a fait ce mauvais revendeur.

Le sujet de discussion semblait plaire à l'intendant, le jeu verbal reprenait.

- Que veux-tu me dire, Zira ?

La femme était gênée, elle savait qu'elle outrepassait ses droits.

- Une mauvaise expérience en bas... Elle a de la valeur. Elle conviendrait au harem des invités, n'est-ce pas? Elle a juste cessé de grandir, elle prendra peut-être un peu plus de formes. Il lui manque juste un peu de temps pour la langue et pour... satisfaire un maître.

- Je vois. Je la testerai.

- Merci.

L'intendant prit plaisir à relever ce mot de trop.

- Pourquoi me remercies-tu? Tiens-tu à elle?

- Non. Mais j'ai pris beaucoup de temps pour la dresser. C'est autant de travail qui n'a pas été fait ailleurs. Ce serait une double perte de gâcher cette fille.

- Tu es très habile, Zira. Alors tu devrais l'être suffisamment pour ne pas me sous-estimer.

La femme sembla ne pas comprendre.

- Pardonnez-moi.

- Je verrai plus tard si je te pardonne. Maintenant prends tes fonctions. Aïsha t'attend dehors.

Zira, inquiète, battit en retraite précipitamment. Hourphed semblait lui réserver quelque chose.

Zira, comme tout esclave, n'avait aucune possession, elle ne retourna même pas dans la cour basse. Sylvie fut atterrée d'apprendre son départ. Elle se retrouva seule, au milieu d'étrangères. Non, elle ne serait plus jamais seule. Elle gardait en son cœur la partie qu'elle aimait de Zira. Finalement, elle garda tout, on ne pouvait diviser un être que l'on aime. A elles deux, elles seraient suffisamment fortes pour affronter les épreuves à venir. Il lui fallait tout d'abord des amies. Non, des alliés, corrigea la Zira intérieure. Pour cela, elle devait mieux comprendre et parler la langue.


*****


Une journée passa. Sylvie discerna les personnes qui risquaient de lui causer des problèmes. Elle échafauda des plans de prévention et d'action.

Sylvie fut amenée dans la haute cour le jour suivant. Bien que la tension qui avait suivi l'intrusion nocturne eût disparu, les moyens de surveillance étaient encore importants et on ne passait pas sans raison d'un secteur à l'autre. La jeune esclave vit pour la première fois le luxe que pouvaient receler les pays maures: sols en mosaïque, murs couverts de carreaux de faïence multicolores, stuc blanc finement sculpté, petit mobilier en bois précieux ou en pièces d'orfèvrerie, voiles, tapis et coussins, vêtements de soie pour les esclaves parées de bijoux. Obéissant aux ordres donnés par une magnifique femme, Sylvie fut vêtue comme il se devait dans la haute cour et on lui montra les gestes rituels du service du thé.

Karim Hourphed se fit servir par la nouvelle alors qu'il discutait avec un collègue du palais, le capitaine Omar Ibn Raïch, chef de la cavalerie de l'armée personnelle d'Isn Ibn Barhul.

- ... Quelle que soit l'estime que lui porte notre maître, disait ce dernier, je n'aime pas cet homme, un magicien, assurément. Lorsqu'il vous parle, ses yeux deviennent comme du liquide, c'est comme s'il enfonçait ses doigts crochus dans votre âme.

Sylvie fit son office. Sur un mot de l'intendant, elle apporta des dattes. Bien sûr, elle ne comprenait pas la conversation des maîtres. Hourphed répondit d'un ton calme à son interlocuteur.

- Je crois qu'il cherche effectivement dans notre esprit. Le maître m'a ordonné de le laisser questionner tous ceux qu'il désirait, y compris ses acolytes. Il cherche le traître, à mon avis. C'est rassurant, puisque nous n'avons rien à nous reprocher.

Le thé consommé, Karim Hourphed ordonna à Sylvie de se coucher près de lui. La fille ne comprit pas, la panique la gagna. L'intendant répéta en utilisant les mots "assieds-toi ici". Sylvie s'exécuta et fut attirée contre son maître qui entreprit de lui caresser les cheveux comme il l'aurait fait pour la fourrure d'un animal familier. Sylvie resta docile. Cela valait mille fois mieux que l'étreinte d'un garde et elle savait à quel point il était vital de satisfaire l'intendant. Le capitaine Omar continuait la discussion, sans prêter attention à la fille.

- Je n'aime quand même pas cet homme. Que fait-il quand il ne met pas son nez dans nos affaires? Comment est-il avec les filles?

- Il est normal, plutôt désintéressé. Dans sa suite, il s'est surtout entouré des livres prêtés par le maître...

Sylvie ne retourna pas dans la cour basse. Elle fut intégrée dans un petit groupe de six servantes, attachées au service de salles bien précises.
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Message par Nadrina Jeu 17 Avr - 17:00

Chapitre 5


Deux jours s'écoulèrent sans incident. Zira avait raison, la vie dans la cour haute était bien plus agréable. Sylvie n'enviait toutefois pas les femmes du harem des invités qui étaient dispensées de tout travail mais qui étaient à la disposition d'êtres souvent étranges. Du temps où le palais était plus ouvert, de nombreuses personnes de diverses catégories y étaient invitées. A présent, seuls des magiciens venaient rendre visite au maître, des confrères, disait-on. Ces gens n'entraient pas dans le palais par les portes, ils utilisaient donc forcément la magie ou des passages secrets.

En passant d'une chambre à un salon, tous deux sous la responsabilité de son groupe, Sylvie croisa trois esclaves portant des plateaux, des femmes superbes, comme toutes celles d'ici. L'une d'elle était Zira, transfigurée, irradiant la beauté et une grâce féline. Ses cheveux lâchés, retenus par un diadème, rajeunissaient considérablement son visage en cœur. Ses vêtements couvraient à moitié son corps sculptural: elle portait un chemisier très court mais aux manches longues, qui enserrait et relevait sa généreuse poitrine, et un pantalon bouffant, largement ouvert des deux côtés et resserrés aux chevilles que l'intéressée jugeait sans finesse.

Sylvie aurait éclaté de joie, mais Zira resta stoïque, puis lui envoya au passage un discret clin d'oeil.

Durant la soirée, Zira retrouva Sylvie dans la chambrée de cette dernière. Les deux femmes s'isolèrent dans l'antichambre où étaient rassemblés vêtements et bijoux, afin d'échanger fébrilement leurs avis sur leur nouvelle position.

- Maintenant, souligna Zira, nous sommes au même niveau.

- Es-tu contente d'être là ?

- Extrêmement.

Leur joyeuse assemblée continua par des essais de toilettes. L'enthousiasme débordant de Sylvie, qui adorait les beaux vêtements et les bijoux, contamina Zira qui se prit au jeu des plus belles femmes du monde. Cette dernière était contrainte à porter des manches longues ou de grands voiles tombants pour cacher la cicatrice de son avant-bras, très laide, car bordée des points laissés par les fils de suture. L'aînée rassura son apprentie.

- J'ai retrouvé l'usage complet de ma main, c'est le plus important. Je n'étais de toute façon pas destinée au harem des invités. Si un maître veut un corps parfait, il n'a qu'à voir celles-là.

Les deux femmes, vêtues des plus beaux atours, s'esquivèrent pour investir un petit salon. Elles y débauchèrent un vieux musicien, hors d'âge, comme tous ses confrères. Depuis que le palais était fermé, ils s'y trouvaient hébergés de force, ce qui convenait à la plupart. L'aînée expliqua la danse à Sylvie. Ses démonstrations furent éclatantes. Zira avait un corps fait pour s'exprimer. Sa robustesse et sa souplesse, doublées d'un grand sens de l'équilibre, lui permettaient de réaliser les figures les plus compliquées avec une facilité déconcertante, un coulé naturel. Elle mélangea des styles, transforma la séance en pitreries auxquelles applaudit Sylvie. Le musicien était aux anges d'en être le seul témoin. Zira avait également une voix remarquable mais ce qu'elle chanta était indigne d'une femme ou même d'un musicien de harem. Heureusement le vieil homme ne comprenait pas l'azlornais qu'utilisait la femme dans ses chansons de régiment. Sylvie n'en pouvait plus de rire. Son hilarité fut interrompue par l'entrée de la responsable de Zira.

- Que fais-tu là? Tu as quitté ton service!

Zira n'en fut pas perturbée.

- Il n'y avait plus rien à faire.

L'autre était visiblement en colère, mais elle ne haussa pas la voix, ce qui était plus inquiétant que des vociférations.

- Tu dois toujours rester disponible. J'ai dû te chercher partout.

- Il y a eu un problème?

- Il va y en avoir un pour toi, Zira. Tu ne dois pas te trouver là, en train de faire je ne sais quoi.

- Je fais ce qu'il faut. Maître Hourphed m'avait demandé de former cette jeune quand j'étais dans la cour basse. Son ordre est toujours valable que je sache. Demande-lui s'il a changé d'avis. En attendant, je continue.

La responsable s'en retourna, se drapant dans sa dignité.

- Je vais t'attirer des problèmes, gémit Sylvie, l'air contrit.

- Hé! C'est moi qui suis venue. Ne t'inquiète pas, elle n'osera pas déranger Hourphed maintenant. Mais nous ne nous reverrons plus avant longtemps, les amitiés sont dangereuses et jalousées. Continuons la leçon.

Le cœur de l'adolescente se gonfla.

- Amies ?

- Non, Sylvie.

Pourtant Zira prit la jeune dans ses bras. Celle-ci fit des efforts pour ne pas sangloter.

- J'ai fait comme tu m'as dit. Je suis forte maintenant.

- Tu as toujours été forte, petite. Et tu es toujours aussi têtue. Tu es prête, maintenant.

- Oui, acquiesça Sylvie. Je serai toujours forte. Et un jour, j'aiderai à mon tour une fille.

- Une vraie mule ! Je désespère.


*****


Le lendemain, dans la nuit, une nouvelle alerte retentit. La moitié des gardes de la cour haute avaient été drogués. Plongés dans une apathie complète et non un sommeil ou une mort qui auraient été remarqués, il avait fallu un heureux hasard pour que l'on comprenne la situation et que l'alerte soit donnée.

Karim Hourphed parcourut tous les couloirs, le teint couleur cendre. On ne trouva aucune autre trace de forfaiture, ce qui laissait tout supposer. La drogue avait été introduite dans la nourriture des gardes, préparée dans la cour basse, puis acheminée dans le réfectoire de la section haute. Une enquête sommaire ne trouva aucun suspect particulier.  

La colère du maître fut totale et frappa principalement les hommes libres. Les esclaves furent eux aussi touchés par les terribles châtiments ordonnés par Isn Ibn Barhul. A la dernière heure de la matinée, quinze gardes furent décapités pour l'exemple.

Une large majorité du personnel fut rassemblée pour assister aux représailles symboliques. Au spectacle des têtes roulant au sol, Sylvie voulut s'enfuir, mais on la força à revenir dans les rangs. Ces atrocités la poursuivraient durant bien des nuits.

Dix hommes et femmes des cuisines furent tués de la main même du magicien qui lança une terrible boule de feu du balcon d'où il trônait. Tous reçurent le souffle brûlant de sa colère et il ne resta que des cendres des malheureux que le sort avait désignés.

Zira était droite comme une poutre. Elle grinça des dents. Sa responsable, encline à la réprimander ne manqua pas cette occasion.

Ce n'était pas fini. Un des deux chefs cuisiniers fut empalé verticalement. Il était lourd et mourut en cinq minutes. Deux esclaves de la cour haute qui avaient acheminé la nourriture venant des cuisines furent fouettées à mort. Sylvie et Zira auraient pu être celles-ci, réduites à l'état de chair sanglante en quelques minutes par des fouets en cuir tressé.

En guise de final, les mêmes fouets furent utilisés sur le capitaine de la garde et l'intendant. Ils reçurent dix coups chacun. Ainsi, même les hommes les plus respectables furent châtiés comme des esclaves. Une peur sourde se tapit alors dans tous les recoins du palais pour ne plus en repartir.

*****

Karim Hourphed supporta mal ses blessures. Sans l'intervention magique d'un acolyte d'Isn Ibn Barhul qui stabilisa les meurtrissures, il eût pu perdre la vie. Il garderait toutefois à jamais ces marques sur son corps et dans sa fierté.

Alors que l'intendant avait retrouvé quelques forces grâce à la magie, il convoqua deux des nombreuses responsables de la haute cour ainsi que Zira. Il leur donna des ordres et leur laissa la difficulté de leur réalisation. La haute cour devait devenir bien plus autonome. Il y eut séparation des hommes d'armes entre les deux sections. Leur restauration dut être entièrement assurée dans leur secteur respectif. Après le remaniement, il ne resta que trois esclaves responsables de la cour haute. La première était celle du harem des invités, ce qui ne changeait rien pour elle. La seconde géra tout l'entretien. Et Zira dut commander la restructuration de certaines salles en cuisines et en celliers, mettre en place un nouveau système d'approvisionnement et diriger un important remaniement de personnel: des esclaves de basse condition, très capables, montèrent en cour haute, et d'autres, en place, durent s'adapter à des tâches dont elles n'avaient pas l'habitude.

Durant la convalescence de l'intendant qui dura deux jours, Zira eut pour ainsi dire les pleins pouvoirs. Ce ne fut pas parfait, mais l'intendant ne lui fit que des compliments quand il put reprendre ses fonctions. En tout cas, Zira en avait profité pour reprendre Sylvie sous sa coupe.


*****


Quatre jours passés à réorganiser le haut palais, plus deux à recevoir en plus les ordres de Karim Hourphed, réussirent à exténuer Zira. Une fois encore, elle avait dû se relever dans la nuit pour régler un problème. Couchée dans une chambrée de six, elle ne parvint pourtant pas à se rendormir. Des images s'imposèrent à elle, alors que ses yeux étaient grands ouverts. Elle se revit plus jeune, vulnérable, tellement petite que les baraques d'un pauvre village apparaissaient immenses. Le ciel, celui de l'Azlorn, était plombé, hormis un rayon de soleil passant entre les nuages qui éclairait vivement, sans vraiment réchauffer. C'était agréable. Elle rêvait bien et pourtant ne dormait pas. Elle vit sur le côté de la route un petit être plus misérable qu'elle et attendrissant. Un chaton au pelage mouillé hésitait à s'engager sur la route et affronter les énormes ornières boueuses laissées par les tombereaux tirés par des bœufs. Elle prit l'animal blanc et brun de terre, qui ne protesta pas, puis rattrapa l'homme qu'elle suivait. Celui-ci semblait plus grand et plus fort, plus puissant d'assurance qu'il ne l'avait jamais été à l'époque.

- Regarde le chaton que j'ai trouvé! Il est si mignon.

L'homme se retourna à peine et soupira de dépit.

- Laisse donc cette bête tranquille. Il ne survivra pas. Il est sûrement rongé de vermine..

Son enthousiasme fut douché, mais il ne lui fallut pas longtemps pour réaffirmer son désir. Elle rattrapa son guide alors qu'il rentrait dans une taverne. Elle insista, voulant communiquer son désir au personnage.

- Raison de plus pour le sauver. Cela ne nous coûte rien.

L'homme posa ses lourds sacs de voyage près d'une table libre. Il enleva sa pèlerine et son manteau. Il gronda quand il vit qu'elle tenait encore dans ses bras l'animal miaulant de détresse.

- Arh ! Tu n'as donc jamais regardé ces répugnants parasites de près.

Il était impossible de savoir s'il parlait des puces ou des chats. Il prononça trois syllabes tout en faisant un mouvement bien précis de la main gauche. L'animal poussa un cri de surprise quand il sentit les esprits magiques fondre sur lui. Elle consola l'animal qui, la faiblesse revenant, oublia bien vite la peur. L'homme ajouta.

- Et toi aussi, maintenant, tu dois avoir des puces.

Il refit le même appel mineur. Elle ne perçut presque rien, tandis que l'animal, à nouveau effrayé, bondit sur la table.

- Merci, s'entendit-elle dire.

- Ne t'encombre pas de ça, c'est un animal. Il y en a des milliers comme celui-ci qui meurent chaque jour. Ne crois-tu pas que cet attachement est incompatible avec tes objectifs?

Il avait raison, elle le savait. Mais peu importait, elle ne le remettrait pas dehors ainsi.

- Je le relâcherai demain, quand il aura repris des forces, répliqua-t-elle en s'asseyant sur le banc en face de l'homme et en reprenant contre elle le chaton.

Le silence s'était fait à leur entrée. La misérable taverne lui semblait familière, elle avait réellement dû s'y trouver dans sa jeunesse. A moins que ce ne fut l'archétype de la médiocrité. Les quelques habitués du lieu n'avaient pu clairement voir les appels mineurs à la magie, mais ils restèrent tout de même interloqués. Comme le silence était sépulcral, l'homme demanda de sa place deux plats du jour. Il considéra du même air dégoûté la table noire de crasse et l'animal.

- Et tu crois que demain, sans toi, il survivra mieux?

Comme le bon sens ne lui donnait pas raison, elle répondit avec force:

- Tu m'as bien sauvée, toi!

Distraitement, le magicien fit d'autres appels mineurs de magie pour sécher et nettoyer l'animal alors qu'il répondait:

- Deux choses importantes diffèrent: tu n'es pas un animal. Nous sommes tous deux des êtres humains, cela fait beaucoup de différence avec un ensemble de cellules régies par un système nerveux amélioré. Deuxièmement et surtout, je ne t'ai pas abandonnée le lendemain. Je suis toujours là et je t'aiderai toujours, je te l'ai promis.

Soudain, la question du chaton passa au second plan.

- Pourquoi? demanda-t-elle.

Le magicien avisa encore une fois la crasse de la table. Il fit un nouvel appel, et canalisa d'avantage de puissance. La couche de bois devenue poreuse éclata en brindilles qu'un souffle d'air venu de nulle part emporta ailleurs. Cette fois les clients furent inquiétés. Le tavernier beugla.

- Hé là! Mais allez faire ça ailleurs, qui que vous soyez.

Le magicien prononça entre ses dents des paroles menaçantes appuyées par un charisme maléfique qu'il n'aurait pas dû avoir à l'époque.

- Toi, j'espère que tu portes plus de soin à la nourriture que tu sers, sinon...

Ses yeux bruns s'allumèrent de lueurs terrifiantes, issues des plans magiques. Une telle véhémence ne lui était pas coutumière et ses yeux ne changeraient que bien des années plus tard. L'aubergiste resta rigide pendant un moment et la moitié des habitués plongèrent le nez dans leur assiette.

- Pourquoi? insista-t-elle.

Il sortit consciencieusement deux assiettes et des couverts d'un sac. Il n'avait jamais évoqué ses motivations. Elle avait, de toute façon, toujours cru savoir, au moins inconsciemment. Mais un doute horrible l'assaillit.

- Tu m'as sauvée un jour, reprit-elle. Et si c'était par pitié. Et le lendemain? Tu savais que me laisser serait me condamner à nouveau. Suis-je devenue un fardeau?

Le magicien porta son attention sur le chaton qui s'aventurait à présent sur la table, vers le plat fumant qu'on venait de leur apporter. Il fronça ses sourcils broussailleux, pointa son index et un arc électrique en partit jusqu'au museau de la bête qui se cabra en poussant un cri déchirant. Elle reprit vivement le chaton dans ses bras.

- Mais tu es fou!

- La folie est le jugement d'un milieu sur une personne. Tout change si je me place dans une société aux valeurs différentes, ou mieux, si je me considère comme mon propre milieu social. Je trouve cela très amusant.

Le magicien envoya un second éclair sur l'animal qu'elle tenait pourtant abrité dans ses bras. Elle sentit la souffrance du chaton. Elle se dressa en dégainant sa dague, par pur automatisme. L'homme fit claquer un arc beaucoup plus puissant sur l'arme. Elle la laissa tomber sous l'effet du vif choc électrique.

- Très amusant, appuya le magicien.

Il fit jaillir des éclairs de tous ses doigts. Elle fut bombardée de pointes de douleur, se fichant dans tout son corps. Son cri se confondit avec celui du chaton. A moins qu'elle ne devînt celui-ci et qu'elle entendît le cri d'une autre fille.

Dans l'obscurité et le silence, des larmes roulèrent sur le visage de Zira. Comment s'éveiller d'un cauchemar quand il s'agissait de sa propre vie?
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Message par Nadrina Mar 22 Avr - 16:23

Chapitre 6


On changea l'affectation de Sylvie. Elle se retrouva au nettoyage, sous les ordres d'une autre responsable. On ne lui avait rien dit sur les raisons de sa mutation, la nouvelle organisation finissait de se mettre en place. La jeune femme ne posa pas de question, elle savait que Zira en était l'instigatrice. Son aînée l'avait éloignée d'elle. Sylvie comprenait à présent sa façon de penser, mais ne l'approuvait pas pour autant. Grâce à Zira, elle pouvait contenir la peine venue de son passé et ne pensait plus à l'avenir. Elle parvenait à se détacher du présent, mais profitait bien de tous les petits instants de bonheur comme celui de revêtir des toilettes formidables, de goûter de bons plats, de dialoguer par sifflements avec un oiseau merveilleux dans une immense cage d'or animant une intersection de couloirs. Elle garderait dans son cœur le joyau qu'était cette leçon de danse avec Zira, qui maintenant s'entourait de petits bijoux. Ce coffre au trésor, rien ni personne ne le prendrait.

Sylvie aurait tant aimé transmettre sa façon d'accumuler la joie à son amie.

*****

La rumeur parcourut tout le personnel féminin en une heure. Celles de la haute cour qui en eurent le courage, purent la vérifier. Dans la nuit, un invité du maître avait changé en statues de pierre trois filles du harem. Elles étaient là, dans un salon, devenues d'un marbre le plus pur, de couleur uniforme, mais d'une nuance rappelant la chair; c'était atroce d'y penser. La première statue accomplissait un pas de danse qui durerait pour l'éternité, la seconde se tenait en position de soumission et la dernière affichait sur son visage l'horreur de sa situation. Isn Ibn Barhul avait apprécié, disait-on et ces filles devinrent des ornements permanents.

Sylvie eût préféré ne jamais découvrir ce spectacle, mais son affectation au nettoyage ne se limitait plus à un petit secteur comme dans l'ancienne organisation et elle les vit fatalement. Si elle avait croisé Zira ce jour-là, elle lui aurait crié ce qu'elle pensait de ses idées, de croire que l'esclavagisme pouvait être mieux que la vie libre. Il était préférable de mourir de faim plutôt que d'être de la chair à la disposition de fous. Il valait mieux être battue, voire tuée en tant que femme libre. Le monde, en général, appliquait une justice qui condamnait et pourchassait la violence. Ici, les abjections étaient complimentées. Sylvie contint cette montée de rage issue de son sens de la justice bafoué. Zira n'était plus sa supérieure pour la protéger, il fallait qu'elle œuvre pour ne pas entrer dans le harem. Elle préférait être marquée. A présent, elle se sentait prête à le supporter.


*****

Depuis son rétablissement, Karim Hourphed harcelait les esclaves. Son attitude était compréhensible au début, car il fallait refaire beaucoup de choses pour l'amélioration de la sécurité. Mais il devint encore plus irascible, cherchant la moindre critique toute la journée, car l'intendant, comme tous les autres, n'était plus autorisé à sortir du palais.

Un soir, après l'intense activité engendrée par le repas, Hourphed inspecta une des deux salles d'eau pour les esclaves de la cour haute. Les femmes présentes, comme il se devait, ignorèrent le regard aigu de l'intendant. Zira se trouvait là. Sur le moment, elle ne pensa plus à un détail. Hourphed lui attrapa le poignet gauche, exposant la longue et laide cicatrice qui lui barrait tout l'avant-bras.

- Zira! Cela n'est pas récent. Pourquoi ne m'en as-tu rien dit?

La responsable, prise en faute, se justifia du mieux qu'elle put.

- J'étais dans la cour basse à l'époque. Je ne pensais pas monter dans la haute, cela n'avait donc aucune importance.

Hourphed était en colère, mais son ton était emprunté. Zira se douta qu'elle avait été dénoncée.

- Tu aurais dû me le dire quand je t'ai fait monter ici.

Zira baissa le regard.

- Je sais. La joie de servir ici m'a fait oublier cet accident.

- Un accident!

L'intendant empoigna Zira par les cheveux et la traîna dans les couloirs, une serviette autour de la taille comme unique vêtement. Il la conduisit dans la salle des punitions, un lieu dont on cultivait la crainte. Au centre du plus important bâtiment de la haute cour, cette pièce était conçue pour que les cris en sortent et s'entendent bien. C'était une véritable petite salle de torture, avec un chevalet en son centre, des chaînes pendant du plafond et des centaines d'instruments terrifiants disposés à des râteliers sur tous les murs. Mais aucun de ces derniers ne servait jamais. Une véritable salle d'interrogatoire se trouvait dans les souterrains et celle-ci pouvait accueillir bien plus de personnes. Hourphed envoya Zira dans les mains du bourreau. Ce dernier enserra les poignets de la femme dans des fers reliés à une chaîne pendante. L'esclave fut hissée sur la pointe des pieds.

- Un accident ! reprit l'intendant. Je t'avais dit de ne pas me sous-estimer.
Pourtant, tu oses me mentir.

Zira protesta avec force.

- Je ne mens pas, c'était un accident.

Hourphed faillit gifler la femme. Il se retint, surpris. Jamais il n'avait levé la main sur une esclave. Le bourreau se porta diligemment près de lui pour le faire, mais aucun signe de la part de l'homme ne vint. C'est verbalement que l'intendant attaqua.

- Je sais très bien que c'est Sylvie qui a fait cela, mais je n'avais pas vu la gravité de la blessure. Il est bien évident que tu n'as plus ta place ici, tu ne l'as jamais eue. Peut-être en auras-tu encore une aux écuries.

Zira ne répondit rien et resta tête baissée.

- Quant à ce que tu mérites pour avoir caché cela et m'avoir menti effrontément...

La femme resta sans réaction, ce qui irrita l'intendant.

- Et il y a aussi une troisième punition pour la marque elle-même. Mais pour celle-ci la faute est partagée avec ton élève, la punition le sera également.

Zira ne réagit toujours pas.

- A propos, comment as-tu pu te faire soigner sans que l'on m'en tienne informé?

L'esclave ne releva pas la tête mais répondit.

- Je me suis recousue moi-même.

Hourphed explosa.

- Idiote! Voilà le résultat: cette affreuse cicatrice. Et tu aurais pu avoir une infection. Tu aurais encore de la valeur, sans ton mensonge.

Zira ne protesta pas. Elle était décidément bien dressée, ne parlant que sur invitation, à part une fausse note au début. Elle se laisserait punir sans tenter de se justifier. Ce test réussi, l'intendant lui autorisa la parole.

- As-tu quelque chose à dire pour ta défense?

Elle redressa la tête sans lever les yeux.

- Maître Hourphed, vous m'avez confié le dressage de la nouvelle esclave. Elle n'avait aucune base et était très choquée. Je savais que je n'obtiendrais rien d'elle tant qu'elle n'aurait pas compris la vanité de toute mauvaise action. Je l'ai provoquée pour percer cet abcès. Elle a craqué, comme je le voulais, mais je n'ai pas été assez vigilante à ce moment. J'ai parlé d'accident, car je croyais pouvoir la neutraliser. Mais à présent elle est calme et docile. A l'époque ma blessure n'avait pas d'imp...

- Tu l'as déjà dit. L'interrompit Hourphed. Mais une telle cicatrice est cause d'exclusion. Tu le sais, tu aurais dû me le dire quand je t'ai fait monter dans la cour haute. Je t'aurais pardonné. Tu es consciente de ta faute, n'est-ce pas?

- Oui. La seule chose que je puis dire pour ma défense est la joie que l'entrée dans la cour haute m'a donnée. J'en ai oublié cette marque. Puis, je savais pouvoir bien servir en la cachant, comme je l'ai fait jusqu'à présent.  

La voix d'Hourphed se radoucit à peine.

- En ce qui concerne le mensonge, petite ingénue, je veux bien penser que cette habile variation de point de vue t'exempte de cette faute. Mais ceci m'apprend à quel point tu es maligne. Je ne laisse pas ce genre d'esclave diriger, tu le sais.

Zira était redevenue comme absente. Elle frémit toutefois. L'intendant en avait fini avec les paroles.

- Bourreau, ce sera le deuxième fouet.

L'homme prit la longue et épaisse tresse de fibres et la déroula d'un claquement au sol. Il rassembla délicatement les cheveux encore mouillés de Zira et les fit retomber par-devant pour dégager le dos. Il recula ensuite de quelques pas et attendit un signe de l'intendant.

- Tu auras trente coups pour ton oubli, annonça Hourphed.

C'était énorme. Seule une désobéissance grave justifiait une telle punition, et encore fallait-il ne pas accorder d'importance à la beauté de l'esclave. Zira ne réagit pas.

- Regarde-moi, ordonna sèchement le maître.

Zira riva ses yeux noisette dans ceux de l'homme, plus sombres, qui étaient renfoncés dans leurs orbites cernées depuis son châtiment.

- Il n'y a aucune peur dans ton regard, dit-il. Pourquoi?

- Pourquoi aurais-je peur? Je connais la douleur. Je ne sais pas si la mort est à craindre ou à souhaiter.

Hourphed la contempla d'un regard où se mêlaient des sentiments contradictoires, comme l'irritation et l'admiration.

- Je n'ai jamais connu d'esclave parlant comme toi.

Cette fois, Zira répondit sans y être invitée.

- Libre ou esclave, on ne m'a jamais demandé de parler. La vie m'a poussée de maux en mal. On ne peut aller contre le courant sans se tuer, alors je me suis laissée porter. J'ai vécu, j'ai entendu. J'ai fini par penser, même si cela ne me sert à rien.

La femme s'était exprimée en ribérain, une langue dont elle maîtrisait d'avantage le vocabulaire. Hourphed resta silencieux durant un long moment. L'attente avec un fouet levé dans le dos était un supplice en soi. Mais Zira ne semblait pas y être sensible. Elle restait parfaitement immobile, le corps tendu, la tête de nouveau baissée. Or, l'intendant avait un atout à jouer dans cette confrontation déjà tellement inégale.    

- Tu mérites bien tes trente coups, pour corriger ton esprit retors. Pour la blessure en elle-même, tu vas me dire à quelle hauteur tu en es responsable. Elle mérite quarante coups, à partager entre la nouvelle et toi.

Voilà ! Elle était piégée. Ce qu'elle avait voulu éviter se produisait. Elle était obligée de châtier Sylvie. Vu l'état d'esprit dans lequel était l'intendant, il fallait même s'attendre à ce qu'il lui demande de la frapper elle-même. Zira contint une vague de colère et réussit à ne pas trahir son calme apparent.

- Alors ? insista l'homme.

Zira ferma les yeux et dit d'une voix faible.

- Comme je vous l'ai déjà expliqué, maître Hourphed, je suis seule responsable.

L'intendant ne triomphait qu'à moitié.

- Je savais que tu tenais à elle. Tu es courageuse, mais tu ne dois pas bien réaliser ce que tu dis. Tu ne survivras pas à cinquante coups de fouet.

- Je sais. Puisque je n'ai plus de valeur, je finirai ma vie ainsi.

Karim Hourphed se retrouva de nouveau très irrité.

- Insolente, vaniteuse, arrogante! Tu crois que je t'épargnerais?

La femme répondit en un souffle.

- Ma vie est entre vos mains.

L'intendant fit un signe de tête et le bourreau abattit le premier coup. Zira le reçut sans crier, sans même tressaillir. Les autres suivirent. La dizaine fut dépassée sans que la femme n'émette un son. Le bourreau appliquait pourtant bien les coups, cherchant à faire le plus mal possible sans déchirer la chair. D'autres suivirent, avec une lenteur calculée et sans rythme pour que la victime ne puisse s'attendre au jaillissement de douleur. Zira restait crispée, tendue, mais ne criait pas. Des larmes de sang perlèrent, là où deux traits du fouet se croisant finissaient par vaincre la peau. Hourphed interpréta cette volonté comme un camouflet. L'esclave montrait plus de dignité que lui-même face au fouet.

- Assez! Je ne vais pas y passer la nuit. Prend le troisième fouet, bourreau, et reprends ton compte.

Zira ouvrit de grands yeux. Elle chercha une goutte de pitié sur le visage d'Hourphed, comme un assoiffé espère de l'eau d'une outre sèche. L'intendant gagnait, Zira pouvait être déstabilisée.

Le bourreau enroula tranquillement le fouet de fibres et l'accrocha à une patère. Il en prit un autre, plus long. Toute la dernière section de cuir rude pouvait ouvrir la peau aussi profondément qu'une lame et sur une déchirure bien plus large.

L'esclave avala sa salive, s'agita, fit jouer ses poignets emprisonnés dans les fers. Elle allait mourir. Le bourreau se mit en position. L'esclave céda.

- Maître Hourphed, si vous voulez me faire mal, je souffrirai. Si vous voulez me faire crier, je hurlerai. Mais l'ai-je mérité ? Est-ce de moi que vous voulez vous venger?

Zira ferma les yeux de toutes ses forces, comme pour s'éveiller ailleurs en les rouvrant.

L'intendant avait gagné, il avait fait plier l'esclave trop parfaite. Or, il n'était plus sûr à présent de la pertinence de son action, lui qui se voulait juste. Il réalisait surtout qu'il avait voulu infliger à Zira les souffrances qu'il avait subies.

L'esclave s'attendait toujours à recevoir l'ultime châtiment. Elle sanglotait nerveusement, le corps agité de soubresauts. Hourphed vit que quelque chose n'allait pas. Il commanda au bourreau de la détacher. Zira tomba dans les bras de l'intendant. Il la prit contre lui. Elle s'accrocha à l'homme, gémissant des bribes de phrases en azlornais. Elle était en pleine crise nerveuse. L'intendant avait déjà vu des filles s'effondrer lors d'une punition ou sous l'effet de la peur, pourtant Zira avait semblé être tellement plus forte. Il n'arrivait décidément pas à la cerner. Hourphed faillit présenter ses excuses pour avoir ainsi joué avec elle, pour l'avoir même détestée alors qu'elle ne le méritait pas. Mais c'était une absurdité, il était l'intendant. Tous les deux agenouillés au sol, la femme se calma doucement dans l'étreinte de l'homme. Zira s'écarta alors de lui, encore tremblante au point de claquer des dents.

- P... Pardonnez-moi, m... maître Hourphed. C'est terrible de... lorsque ce que l'on croit être sa force se brise d'un coup.

L'intendant releva l'esclave et l'emporta dans ses bras. Il grimaça, ses muscles dorsaux précédemment coupés par le fouet protestaient. Karim accepta cette punition divine pour avoir voulu faire pire à la femme. Il la porta jusqu'à ses appartements. Il déposa délicatement Zira sur son lit pour qu'elle puisse s'allonger sur le ventre.

- Il me reste, dit-il, un peu d'un merveilleux baume apaisant.

L'intendant passa l'onguent sur le dos strié de rouge de la femme. Après l'extraordinaire tension qui avait secoué cette dernière, elle ne donnait plus de signe de vie, elle était comme proche de s'endormir. Karim lui demanda:

- As-tu vraiment cru que je te tuerais par le fouet?

- Oui.

Karim l'aurait peut-être fait, il avait été sur le point de le faire. Il mentit toutefois pour retrouver l'assurance conférée et nécessaire à sa haute fonction.

- Je ne t'aurais pas fait cela. Tu as retenu la leçon: je veux tout savoir. Tu n'as pas autorité de décision et de jugement.

Zira était de nouveau maîtresse de ses actes, pourtant le ton de sa voix était moins protocolaire.

- Je ne referai plus cette erreur.

L'homme termina d'appliquer la crème apaisante. Il posa un fin voile qui colla sur le dos.

- Tu as beaucoup de valeur, c'est pourquoi j'étais en colère. Je regrette de ne pas disposer personnellement d'esclaves. Ce serait un grave manquement à l'éthique si je profitais des gens de mon employeur pour y sélectionner les miens. Pourtant, j'aurais aimé t'avoir à mon service.

- Vous me faites beaucoup d'honneur.

Zira se redressa sur le côté. Karim s'approcha et l'embrassa. Après un court instant, l'esclave protesta.

- Je ne vous mérite pas, maître.

L'homme passa avec tendresse ses doigts dans les cheveux de la femme, plus sombres et plus bouclés lorsqu'ils étaient humides.

- Tu es incorrigible. Tu n'as pas à juger de quoi que ce soit.

- Pardonnez-moi, seigneur.

Le ton de Zira était bas, doux et... sensuel.

- Je te pardonnerai si tu te montres très gentille.

- Oh, oui.

Leurs lèvres s'unirent bien plus longuement. Leur étreinte mutuelle se resserra. Comme par magie, le corps nu de l'esclave, simple matière, devint un corps de femme, empli de grâce, merveilleux, désirable. L'ivresse des sens ne tarda pas à animer les gestes des partenaires: lui, parcourant de ses mains et de ses lèvres sa peau douce et son corps ferme; elle, en le déshabillant, mettant à jour son long corps noueux. Ils s'abandonnèrent rapidement au premier des plaisirs humains, dans une union intense, chacun exorcisant dans l'acte quantité de douleur.

Zira exprima son plaisir, Karim triompha, et tout retomba. Encore essoufflé, il se blottit sur la poitrine de la femme. Il se sentait un être neuf. Oui, ici, contre Zira, il était capable de surmonter l'humiliation de sa flagellation. Il eut envie de lui parler de son autre terrible douleur, de la perte de cette esclave à qui il avait tenu plus que toute autre et qui était à présent une statue, exposée, lui rappelant chaque jour l'immensité de la perte qu'il avait subie. Mais il était l'intendant. En aucun cas il ne devait parler de ses sentiments à une esclave, fut-elle Zira, dont il était certain qu'elle ne dirait rien. Il aborda donc des sujets permis.

- Je ne t'ai pas fait mal au dos? Je crois que j'ai parfois oublié.

- Non, mentit-elle, vous m'occupiez ailleurs.

- Tu fais l'amour comme une femme libre.

- J'ai pensé qu'un peu d'initiative de ma part vous plairait.

- Tu as eu raison.

En fait, de femme libre, Karim n'en avait jamais connu. Il aurait pu épouser une fille de bonne famille depuis longtemps. Il représentait un parti intéressant. Mais il redoutait d'être déçu par une épouse. Il le serait forcément, lui qui avait connu les plus belles expertes. Aussi, il n'avait pas voulu s'engager avec une femme, préférant le contact éphémère des esclaves et parfois celui des prostituées.

Il avait pourtant fini par trop s'attacher à ces filles. Il souffrait de la perte de Konidaya. Zira était son baume cicatrisant. Moins splendide, cette dernière était d'avantage femme. Son contact était d'une chaleur remarquable. Elle caressait délicatement ses cheveux noirs, tout bouclés. Mais il risquait de s'y attacher également. Il renvoya ses tourments au loin, ils reviendraient toujours assez tôt. Pour l'instant, il n'était pas question de laisser finir ce moment de bonheur. Karim ralluma la flamme de leurs corps. Ils prirent plus de temps, continuant dans la volupté ce qu'ils avaient commencé dans l'excitation.

Après un second paroxysme, l'homme n'éprouva plus que du bien-être. Cette fois, c'était Zira qui se reposait contre son torse. Elle était toutes les limites de son l'univers actuel. Elle représentait la quiétude. Pourtant, penser à elle empêchait Karim de trouver le sommeil alors que son corps ne demandait qu'à s'écrouler. Comment pouvait-il ne pas s'attacher à Zira, elle qui pouvait tant le combler?

- Zira... je...

La femme lui posa l'index sur les lèvres.

- Chut! Je sais... Moi non plus.

Mais qu'avait-il voulu dire? Il ne savait même pas lui-même, mais cela aurait été sans doute une stupidité. "Je t'aime." Ce n'était pas ce à quoi Zira se serait attendue. Mais était-ce faux? Il s'agissait plutôt de "Je ne peux pas t'aimer." L'esclavagiste était aussi enchaîné que ses prisonnières. Quel drame !

Zira dut sentir la tension de l'homme.

- Dormez, mon seigneur. Je resterai là. Je garde votre sommeil, rien ne pourra vous arriver.

Et elle chantonna une berceuse en agelangais, une langue aux consonances bien moins rudes que l'azlornais. Karim sentit son corps s'alléger et il sombra dans un sommeil sans fond.
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Message par Nadrina Mer 23 Avr - 15:42

Chapitre 7

La nouvelle se répandit, alors que toutes les esclaves de la cour haute se préparaient à se coucher: maître Hourphed, très en colère, avait fait irruption dans la salle d'eau et avait emmené Zira, sans doute à la salle des punitions. Sylvie quémanda d'autres renseignements mais on ne savait rien de plus. La jeune femme se sentit immédiatement coupable. De toute façon, quoi qu'il ait pu arriver à Zira, elle se serait sentie concernée. La confirmation redoutée vint un peu plus tard: l'intendant la punissait pour sa cicatrice au bras (ce n'était un secret pour personne). On avait entendu des cris qui n'en finissaient pas du côté de la salle des punitions.

L'estomac de Sylvie devint comme une pierre. Elle se mit à marcher de long en large dans le dortoir. Elle se serait rongée les ongles si on ne l'en avait pas empêchée. Il fallait faire quelque chose: se dénoncer, surgir dans la salle des punitions, faire un esclandre, tout était bon pour ne pas laisser son amie. Passer à l'acte fut plus compliqué, surtout quand on lui intima de se coucher. Au mieux, le sort de Zira provoquait de l'indifférence, au pire, il satisfaisait les jalouses. Ce ne fut qu'un sujet de conversation passager. De toute façon, il était trop tard, tout était fini à présent, quoi qu'il ait pu se passer. Plutôt que de faire n'importe quoi, ne valait-il mieux pas appliquer la méthode Zira? Pas de lien, pas de sentiment. Sylvie avait bien du mal à se contraindre à l'indifférence.

Quand tout le monde dormit à poings fermés, Sylvie se leva, sortit dans le couloir et alla dans un petit passage sans issue qui se terminait par une jolie petite fenêtre dont une colonnette de pierre en son milieu interdisait toute fuite. Sylvie pouvait y voir les étoiles et sentir le vent du désert, parfois des odeurs de la ville. Zira était présente dans l'esprit de la fille comme si elle était devant elle. La responsable aurait été furieuse si elle était intervenue, surtout que cela n'aurait servi à rien. Et Zira? Avait-elle appliqué ses propres préceptes et dit qui l'avait blessée? Pour l'instant, son propre sort préoccupait moins Sylvie que celui de son amie.

*****

On frappa à la porte.

- Intendant.

On réitéra l'essai et une autre voix appela:

- Karim.

Zira secoua son amant d'une nuit.

- Maître Hourphed.

L'homme grogna. Il se sentait épuisé, avec une céphalée prête à surgir s'il s'éveillait. Aussi, il refusa l'appel du réel. Comme on insistait, Zira cria:

- Il arrive.

La porte s'ouvrit sans délai, grâce à l'utilisation d'un passe-partout, et des gardes entrèrent, leur commandant en tête. Ce dernier ne fit aucun cas de Zira qui s'éloigna en se drapant dans un voile.

- Karim! Je me suis demandé un instant si tu n'étais pas mort.

- Je suis fatigué. J'espère que tu as une...

- Ecoute-moi bien. Nos têtes sont en jeu, tu comprends?

L'intendant se força à reprendre ses esprits. Faire l'amour avec Zira avait vraiment été intense. Le capitaine secoua une dernière fois l'homme par les épaules et quand Hourphed le repoussa, il s'expliqua.

- Les tueurs sont revenus. Quatre gardes et une patrouille ont été neutralisés de la même façon que les autres fois. Je suis tombé sur leurs corps par hasard. Je n'ai pas fait sonner l'alerte, mais j'ai réveillé tous mes hommes de la cour haute et je les ai postés aux remparts et aux issues. On vient de me rapporter qu'il n'y a pas d'autres assommés. Tu comprends ce que cela veut dire ?

Hourphed était tout à fait concerné par la gravité de la situation, aussi c'est sans humour qu'il répondit:

- Pas vraiment.

- Ils sont toujours ici ! Cette fois c'est sûr. Ce n'est pas tout: deux invités du maître sont morts. Peut-être y en a-t-il d'autres, je n'ai pas encore vérifié. Karim, si nous ne présentons pas les assassins, nous ne verrons pas le jour se lever. Tous mes hommes sont en position. Il me faut tes filles pour tout fouiller et les débusquer.

Les pensées de l'intendant se remettaient doucement en place.

- Oui, oui.

Le capitaine insista:

- Il faut que tu les fasses agir dans le plus grand calme. Si maître Barhul est réveillé, nous sommes perdus.

- Oui, j'arrive.

L'officier, accompagné de ses meilleurs hommes, se retira, le temps que l'intendant se vêtit. Ce dernier commença à donner des ordres à Zira. Celle-ci fit remarquer sa nudité.

- Dans cette armoire, il y a quelques tenues de femme. Rejoins-moi au dortoir vert.

Hourphed se précipita dans les couloirs. Zira enfila des babouches, une longue jupe de voiles et un chemisier dans un style qui lui était coutumier, moulant, court, aux manches longues. Un grand foulard de soie cacha les traces du fouet sur les parties dénudées de son dos. Elle rejoignit l'intendant et ils distribuèrent les consignes aux esclaves du premier dortoir. Puis ils firent de même dans celui des préposées au nettoyage. La responsable de la chambrée dit immédiatement à l'intendant.

- Sylvie est sortie tout à l'heure. Elle est revenue il y a quelques instants seulement. Ce n'est pas la première fois qu'elle fait ça.

Dans le brouhaha de ce réveil impromptu, Sylvie entendit tout de même que l'on parlait d'elle. Elle vit les yeux de l'intendant devenir comme ceux d'un animal fou. Il se précipita et l'attrapa.

- Que faisais-tu dehors?

- Rien, je n'arrivais pas à dormir.

Le visage de l'homme devint alors couleur cendre.

- Tu... Tu avais un collier étrange...

- Je l'ai perdu la nuit où j'ai été assommée.

Elle allait avoir des problèmes, elle le sentait bien. Sylvie continua à donner des explications, sachant qu'elles ne serviraient sans doute pas à grand-chose. On pouvait même se demander si l'intendant écoutait ou s'il allait avoir une attaque cardiaque.

- Je ne m'en suis pas rendu compte tout de suite et après... après, cela aurait fait bizarre d'en parler.

Hourphed envoya la fille dans les bras d'un garde et sortit en disant simplement :

- Vite.

L'intendant, deux soldats, Sylvie et Zira entrèrent dans la salle des punitions. Le bourreau n'était pas là. Hourphed se tourna vers la jeune fille et détacha chaque mot qu'il prononça.

- Ecoute bien: dis-moi tout ce que tu sais sur tes complices. Il faut que nous les trouvions, ou au moins que nous démasquions quelques traîtres. Toi, tu es perdue de toute manière. Maître Barhul utilisera la magie et des tortures dont on ne peut pas avoir idée et il finira par tout savoir. Alors dis-le moi avant que le maître n'arrive et je te promets une mort rapide.

La peur qui émanait de l'homme rendait ses paroles plus terrifiantes encore. Sylvie se retrouva incapable de s'exprimer, submergée par l'horreur de ce qui allait se produire. L'intendant resta immobile, attendant les mots de la jeune fille comme le salut de son âme. Dans un coin de la pièce, Zira regardait la scène, très inquiète. Elle l'était non seulement pour Sylvie, mais également pour Karim qui perdait tout contrôle de lui-même.

- Je... Je n'ai rien fait de mal, marmonna la blonde. Je ne sais rien des assassins.

Tout le monde retenait son souffle. Tout d'un coup, Hourphed bondit. Il fit tout le tour de la pièce, cherchant quelque chose dans les étagères. Finalement, il demanda à un garde:

- Qu'est-ce qui fait le plus mal possible et très vite ?

- Heu... Le fer rouge.

Mais le brasero destiné au marquage n'était pas allumé.

- Laissez-moi faire, dit l'autre garde.

Celui-ci saisit Sylvie et la mit à genoux à la tête d'un chevalet basculé à l'horizontale. Il passa ses petits poignets dans les fers et les referma. La brute chercha ensuite un instrument dans les étagères et choisit un maillet.

- Il suffit d'éclater tous ses doigts. C'est ce qu'il y a de pire, je crois. Et après on peut encore tripoter les morceaux.

L'intendant approuva.

- Très bien. Fais-le.

A côté du deuxième garde, Zira poussa un profond soupir.

- Et merde!

Hourphed comprit immédiatement mais fut paralysé de stupeur. Zira leva le poing et toucha le visage de son voisin avec une telle violence que son nez devint comme une rose sanglante. Il s'écroula, tué net. Zira prit une longue et lourde pointe dans un râtelier d'instruments de torture. L'autre garde réagit promptement. Comme il avait une masse dans sa main levée, il la lança. Les deux projectiles se croisèrent. Zira pivota sur elle-même et le maillet lui frôla une épaule. Le soldat, lui, eut le cou transpercé par la pointe. Sylvie cria, l'homme s'écroula à côté d'elle. Ce n'était pas un cri de femme qui risquait de donner l'alerte. Hourphed dégaina son poignard, mais Zira était déjà sur lui. Elle le frappa au poignet du tranchant de la main et les os cassèrent. De son autre poing, elle le toucha à la gorge. L'intendant se trouva incapable de crier, ni même de respirer d'ailleurs. Il fit demi-tour, dans une tentative désespérée de fuite. Zira lui appliqua tranquillement un coup de pied à la base du dos. L'intendant émit un sifflement au lieu d'un cri de douleur. Ses jambes se dérobèrent sous lui, complètement insensibles. La femme lui attrapa la main valide et lui fit une clef pour le neutraliser totalement. Elle passa son bras libre autour du cou de l'homme et lui bloqua la tête contre elle. Hourphed râlait, terrifié, étouffant. Zira lui parla doucement à l'oreille.

- Sache que je n'ai pas de haine à ton égard, il n'y a pas de méchanceté en toi. Tu es un esclavagiste et ceux-là je les tuerais tous volontiers, mais on ne choisit pas sa vie, n'est-ce pas? Ta société est ainsi faite. Il vaut mieux que tu partes maintenant, avant que l'enfer s'abatte sur ce lieu.

Derrière un rideau de douleur, les pensées de Karim se bousculèrent: il y avait Zira, Barhul, la mort toute proche. Il eût voulu plaider pour sa survie comme ultime volonté. Il allait mourir à cause du mage qu'il maudissait à présent. Il devait absolument dire à Zira qu'il était prêt à aider la faction qu'elle représentait, pour se venger de Barhul. Il l'aurait même fait pour Zira. Mais, son larynx brisé forma seulement un râle.

Sylvie détourna les yeux du corps à côté d'elle qui frémissait encore. Elle réalisa quelle était la situation de l'intendant.

- Non!

- Adieu.

Zira, d'une secousse presque imperceptible, lui brisa la nuque. Le craquement retentissant des vertèbres fut plus évocateur que le geste lui-même. Sylvie eut un haut le cœur.

- Ne bouge pas de là, commanda Zira, il faut que je termine ce que j'ai commencé.

La femme s'enfuit dans le couloir.

- Mais...

Sylvie ne pouvait guère désobéir, elle était attachée au chevalet.


*****


Le temps s'écoula, s'étira longuement, en compagnie de ces morts, dans un silence presque total, seulement troublé par des sons lointains transmis par les murs. La présence des morts était si forte qu'elle interdisait toute pensée à la jeune fille. Chacun d'eux affichait clairement l'horreur de son trépas: un visage éclaté, une gorge transpercée, des yeux exorbités. Sylvie cherchait à les fuir mais ils accaparaient toutes ses pensées.

La porte s'ouvrit. Zira entra en tirant deux corps avec difficulté.

- Zira!

La brune se retourna vivement.

- Appelle-moi encore une fois par un nom d'esclave et je t'arrache la tête. Je suis Eléanor de Vorkar.

Sylvie aurait blêmi encore plus si cela avait été possible. Zira ajouta avec un clin d'œil:

- Je plaisante!

Elle repartit aussitôt. Puis elle revint peu de temps après avec un nouveau corps qu'elle entassa sur les deux premiers. Eléanor allait repartir une nouvelle fois.

- Détache-moi, je t'en supplie, gémit la blonde.

- Mais non, tant que tu es dans cette position, tu n'as rien à craindre si on te trouve. Je risque d'être un peu plus longue.

Sylvie attendit longtemps, très longtemps. Comme dans la cage, le temps s'étirait, faute de repère et sans pouvoir s'installer dans une position confortable. A genoux à la tête du chevalet, les poignets enserrés dans les fers, la fille eut le temps d'avoir mal aux jambes, au dos et d'avoir les bras ankylosés. Pourtant pas plus d'une heure n'avait dû s'écouler depuis le réveil des esclaves.


*****

Un des trois hommes amenés récemment bougea. Il grogna, se tourna sur le ventre, puis s'immobilisa. Sylvie était terrifiée. Elle avait dû être dans le même état lui la nuit où elle avait été assommée, sûrement par les complices de Zira, pour lui prendre le médaillon. Mais pourquoi tout cela?

Eléanor revint. Elle avait déchiré les manches de son chemisier et avait remplacé ses braies par un pagne d'esclave masculin. Elle marchait pieds nus et était armée d'une magnifique épée courbe, fine et longue, faite pour être utilisée à deux mains: un sif. La lame et le bras droit de la femme étaient poisseux de sang. C'était celui d'autres personnes.

- Il y en a un qui se réveille, souffla Sylvie.

Eléanor s'accroupit et frappa du poing la tête du blessé. Elle l'aurait fait avec un marteau, le craquement qui retentit n'aurait pas été plus effroyable.

- Non! Pourquoi fais-tu ça, gémit la jeune femme. Tu n'es pas obligée de le tuer.

- Si, justement. Il n'est pas dans notre façon de faire de laisser des survivants derrière nous. Ce sont toujours de futurs ennemis potentiels en moins.

- Que vas-tu faire de moi?

Eléanor s'apprêtait à ouvrir les fers de la fille, mais elle interrompit son geste.

- A ton avis, tête de mule? Que vais-je faire de toi, alors que tu as gâché ma meilleure action? J'avais l'alibi parfait: j'étais dans les bras de l'intendant. Après celle-ci, j'aurais pu encore faire une sortie. (La voix de la femme se radoucit.) Je vais te sauver, bien sûr ! (Elle débloqua enfin les fers et releva Sylvie en l'empoignant par sa chemise de nuit.) Tu avais raison, je dois encore avoir un petit bout d'âme. Tant pis. Viens, il faut filer d'ici au plus vite.
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Message par Nadrina Jeu 24 Avr - 17:24

Chapitre 8



Emmenant la blonde par la main, Eléanor passa des couloirs et des escaliers bien éclairés mais déserts, jusqu'aux niveaux souterrains. Sylvie vit clairement le dos à moitié dénudé de son amie, marqué de lignes rouges. Zira avait bien été fouettée par sa faute. Elle en fut tellement désolée qu'elle ne pensa pas au danger qui risquait de surgir à chaque porte ou angle de couloir.

Elles firent une pause en haut d'un étroit escalier droit. La cadette demanda en chuchotant :

- Tes complices sont là?

- Quels complices? Il n'y a pas de complices ici. J'opère toujours seule. En revanche, j'ai des amis qui pourraient nous aider s'ils ne sont pas trop loin. Mais il ne vaut mieux pas trop compter sur eux et plutôt s'enfuir par nos propres moyens.

- On va s'en sortir, tu crois?

- Bien sûr! Il n'y a personne ici capable de m'arrêter. Le seul problème est Barhul, il ne joue pas dans la même catégorie que moi. S'il nous trouve avant mes amis, nous sommes perdues. Maintenant écoute bien: le bas de ces escaliers donne sur un couloir. Du côté gauche, après vingt pas, il y a une grande porte sur la droite. Elle est gardée par deux hommes, peut-être trois avec l'alerte. Plus loin, le couloir se termine par un autre escalier qui monte à un poste de garde. Tu vas descendre, prendre la commande d'une collation pour ces hommes, puis tu continueras un peu plus loin et là, tu devras attirer leur attention. Comme ça, je pourrais arriver sur eux et m'en débarrasser sans qu'ils donnent l'alerte.

Sylvie écarquilla les yeux.

- Je dois faire ça!

- Pour passer à nouveau pour une servante, il faudrait que je me lave et me change. Nous n'en avons pas le temps. Barhul peut nous trouver d'une minute à l'autre. Fais-le. Tu es assez forte, je le sais.

Eléanor poussa Sylvie jusqu'au bas des escaliers. La jeune se retrouva en train de marcher vers les trois gardes en faction devant une robuste porte de bois. Ils regardèrent avec méfiance ou étonnement cette servante en chemise de nuit. Sylvie était connue d'au moins un d'entre eux. Sa maîtrise très partielle du langage servit à la fille pour ne pas répondre aux questions inquisitrices des hommes qui voulaient savoir si l'alerte était encore en vigueur et si non, pourquoi leur proposait-on une collation ? Ils présentèrent finalement leurs souhaits et Sylvie continua vers l'autre escalier. C'est à ce moment critique que l'angoisse lui serra la gorge. Elle se retourna et parvint à dire bien haut:

- Excusez-moi. J'oubliais...

Les trois paires d'yeux se tournèrent vers elle.

- Je devais vous dire que...

Eléanor accourut, totalement silencieuse, l'épée brandie. Le regard de Sylvie trahit l'action. Le premier garde tourna la tête... et la perdit, fauchée par le sif. Eléanor fit tournoyer l'arme. Avant que le prenier ne touche le sol, le deuxième garde fut également. Et dans la continuité du mouvement, le troisième fut ouvert du ventre jusqu'au cœur, les côtes fracassées.

Sylvie aurait hurlé si un spasme ne l'avait pliée en deux. Elle vomit toute la bile de son estomac. Après quelques instants, elle chercha à retrouver son contrôle. Son regard fut attiré par les corps. Des têtes au sol, des viscères encore mouvante s'échappant d'un corps ouvert en grand, la refirent tomber dans une crise.

Eléanor revint de la salle de garde au-delà des autres escaliers. Encore plus de sang la maculait et ce n'était toujours pas le sien. Elle déplaça Sylvie de quelques pas sans se préoccuper de son état.

- Attention, dit-elle pour toute explication de ce qui allait suivre, la porte est peut-être piégée par magie.

Sylvie, hébétée, regarda son aînée poser son arme au sol, rester immobile un instant, puis donner un magistral coup de poing contre le bloc métallique de la serrure. Eléanor écouta au panneau renforcé, puis, ne relevant rien de suspect, recula en secouant sa main. La femme se concentra, ferma le poing et recommença. Métal et bois divorcèrent dans un craquement bref et retentissant. Eléanor poussa le panneau, puis elle prit une lampe du couloir, le sif et Sylvie. Mais par quelle magie avait-elle pu torde du fer à poing nu?

Il n'y avait pas grand-chose à voir de l'autre côté: une pièce carrée occupée par deux citernes de pierre et plusieurs fûts. Eléanor commenta comme pour elle-même:

- La porte était gardée. Il y a forcément une issue par ici.

Elle souleva une trappe à deux battants. Il y avait de l'eau dessous, et cela semblait profond.

- En tout cas, reprit l'assassin, le capitaine de la garde était un idiot. A croire que nous l'avons soudoyé pour placer aussi mal ses hommes et ses patrouilles. Il a mérité sa mort.

La femme examina les autres aspects de la pièce et, finalement, se pencha de nouveau sur le puits découvert par la trappe.

- Je ne sais pas ce qu'on fait entrer ou sortir par ici, mais ce doit bien être là l'issue. Ne bouge pas, je reviens tout de suite.

Eléanor prit une inspiration et sauta dans l'eau. Le poids de son arme l'attira immédiatement vers les profondeurs. Les derniers remous disparurent bientôt. Sylvie se remit à bouger. Elle voulut voir par quel prodige la serrure avait été forcée, mais il y avait les cadavres dans cette direction. Alors elle se rafraîchit à l'eau d'un tonneau. Elle réalisa ensuite que sa compagne était partie depuis bien trop longtemps. Personne ne pouvait retenir ainsi sa respiration. Mais que faire? Il fallait bien attendre.

Eléanor resurgit du puits. Elle jeta son épée sur le bord et s'y hissa avec souplesse. Elle était à peine essoufflée.

- C'est bien par là. Je suppose que tu n'as jamais nagé sous terre? Bon... Tu vas te tenir à...

La femme déboucla la ceinture d'un garde, la passa autour de sa propre taille, et en profita pour mieux maintenir son pagne.

La jeune se risqua à interrompre la tueuse.

- Comment as-tu pu casser la porte? Tu es une sorcière?

L'autre sourit.

- C'est le Chi, jeune fille. En donnant la force de tout son corps, toute sa vitesse au bon moment, on peut produire des coups dix fois plus puissants. C'est simple, il faut juste de l'entraînement et durcir ses extrémités de frappe pour qu'elles n'explosent pas en même temps.

Eléanor montra ses mains calleuses. Puis elle déchira le bas de la chemise de nuit de sa protégée et s'en fit un bandeau pour maintenir ses cheveux en arrière.

- Bon, Sylvie, tu prends mon arme dans une main et de l'autre tu t'agrippes à la ceinture. Tu prends un grand souffle et tu te laisses devenir toute molle. Compte dans ta tête... (elle se ravisa pour donner une meilleure méthode) Récite trois fois la chanson du carillonneur et tu pourras respirer. D'accord?

La jeune hocha la tête. Elle n'oubliait pas que des dizaines d'hommes pouvaient surgir à tout instant. Tout alla si vite que Sylvie réalisa soudain qu'elle était dans le noir, sous l'eau, frôlant des parois. Elle tenta de se rappeler de la comptine. Avant d'y parvenir, elle atteignit déjà la surface. Eléanor grimpa sur le bord de pierre et attrapa Sylvie avant que celle-ci ne coule, emportée par le poids de l'épée. Faisant preuve d'une force incroyable pour sa carrure somme toute ordinaire, l'aînée souleva la jeune en un mouvement et la posa debout à côté d'elle.

Les femmes étaient sorties d'un bassin carré au centre d'une pièce circulaire. Une voûte de pierre, très peu concave, brute de moellons, était renforcée par des arches, elles-mêmes soutenues par dix fins piliers disposés en cercle à quelques mètres autour du bassin. De la clef de voûte pendait une grosse lampe dont le verre projetait une lueur aquatique, assez pauvre, de sorte qu'on distinguait mal les limites de la salle au-delà des piliers.

L'épée dans une main, le poignet de Sylvie dans l'autre, Eléanor se dirigea vers une issue qu'elle avait repérée à son premier passage. Mais une voix et une silhouette vinrent à leur rencontre.

- Alors? Plus personne? Il n'y a que deux esclaves en fuite.

Eléanor recula précipitamment.

- Va au fond et ne bouge pas.

Un homme d'apparence redoutable entra dans le halo de lumière. Il était plus grand d'une tête qu'Eléanor, mais surtout, il était deux fois large comme elle. Il portait comme seul vêtement un ample pantalon blanc, retenu par une ceinture de toile rouge. Ses pieds nus lui évitaient de glisser sur le sol de roche brute, humide. C'était le bourreau de la cour haute. Il tenait en main une arme aussi longue que celle de la guerrière, mais plus large: un cimeterre à deux mains. Celui-là même avec lequel il avait décapité tous ces hommes lors des exécutions commandées par Barhul. Les formidables bras du bourreau lui promettaient de manipuler la lourde arme sans difficulté. Le personnage devait atteindre les trente ans et il avait commencé à s'engraisser. Toutefois, ce dernier point n'enlevait rien à son aura de puissance.

- Alors, Zira, je vois que les projets d'Hourphed ne te conviennent pas. Tu sais tenir une épée. Aurais-tu appris à te battre? Oh! Tu es la complice des assassins! Crois-tu pourtant posséder quelques chances contre moi?

Eléanor faillit lui répondre qu'elle était à elle seule ce fameux groupe d'assassins, mais elle préféra une réplique emplie de prudence.

- Cela dépend. Je ne vous connais que sous le nom de Bourreau et vous êtes censé vous en prendre seulement à des adversaires immobilisés.

- Je suis Ackmar Ibn Azer. Mon maître d'armes fut Ar'Nolka, entraîneur des armées du Roi. Je suis le champion d'Isn Ibn Barhul. Tu ne pourras pas me vaincre.

En temporisant ainsi, Eléanor cherchait surtout à savoir si l'homme était seul, ou s'il avait un moyen de donner l'alerte. D'après son attitude, tout allait se régler entre eux deux, dans une joute ordonnée, ce qui ne lui déplaisait pas.

- J'ai entendu parler d'Ar'Nolka, lors de la bataille des Iles Amazones. Il y est mort. J'ai survécu.

Le bourreau ouvrit de grands yeux noirs, ronds comme des billes.

- J'y ai survécu également. Es-tu une Amazone ?

- Non, j'étais un agent du Chaos, infiltré pour vous faire gagner. Exactement comme aujourd'hui, mais tu n'es plus dans le bon camp.

Les deux antagonistes s'évaluèrent du regard, cherchant un défaut de position, un tremblement, une vilaine cicatrice, n'importe quelle petite faiblesse qui leur profiterait par la suite. Aucun n'en avait. Eléanor sentit en outre la monstrueuse force vitale de l'homme, tendue vers elle, dirigée par sa volonté, cherchant à emprisonner toutes ses possibilités d'action.

- J'aurais dû m'apercevoir, déclara l'homme, que tu n'étais pas une esclave. Je veillerai sur la dignité de ta mort et si tu me donnes ton nom, je le graverai sur une pierre.

La guerrière n'aurait pas dû, mais cet adversaire sortait indéniablement du lot commun. Elle se conforma à ce rituel solennel.

- Je suis Eléanor de Vorkar. J'ai eu six grands maîtres d'armes. Le dernier avec qui j'ai croisé amicalement le fer est le maître du Chaos lui-même. Tu n'as aucune chance.

Le bourreau devint songeur.

- Vorkar... Le commandant...

- Je suis sa fille.

- C'est un honneur de te rencontrer.

Les maîtres d'armes se saluèrent et attaquèrent. Eléanor, vive comme une mangouste, tenta immédiatement une botte en deux passes. Grand mal lui en prit. Le colosse contra avec force et déroula sur elle une charge qui n'en finissait plus. Les coups du bourreau étaient étonnamment précis et rapides. Eléanor usa de toute son habileté pour esquiver, tout en perdant du terrain. Pourtant, toute la technique de la femme ne pouvait rivaliser avec la force de l'homme. Déjà, elle sentait ses muscles atteindre la limite de leur endurance, devenir brûlants. Elle songea un instant à lâcher le sif, trop lourd en ces circonstances, pour attaquer à mains nues. Mais le bourreau était trop adroit et elle serait abattue avant de l'atteindre.

La guerrière ne parvenait pas à reprendre le contrôle de l'engagement et elle continua à contrer en situation critique les habiles passes de l'homme. Eléanor n'était toutefois pas angoissée. On pouvait vaincre même en état d'infériorité flagrante. Il fallait pour cela utiliser des moyens détournés. Elle battit en retraite et plaça un pilier entre eux afin d'interrompre le rythme mortel des coups de l'homme. A défaut de pouvoir s'en débarrasser d'une attaque décisive. Eléanor chercha à blesser son adversaire, frappant bas, passant d'un pilier à l'autre, tournant autour. Le bourreau ne se laissa pas piéger. Il continua d'avoir le dessus, ne commettant aucune erreur, feintant, essayant de briser le sif contre la pierre. Il se déplaçait incroyablement vite pour sa masse. En fait, il était sur son territoire, il avait appris à utiliser ces piliers.

Eléanor réussit à rompre l'engagement avant d'être prise au piège, surtout qu'ils se rapprochaient de là où était prostrée Sylvie. A bout de souffle, ruisselante de sueur, la femme réussit à se positionner de l'autre côté du bassin central. Avec cette distance entre eux, les adversaires ne pouvaient plus se toucher dès qu'ils reculaient d'un demi-pas. Les lames se tutoyèrent, pour le principe, matérialisant le choc entre les deux volontés. Si seulement Eléanor avait une arme plus petite, plus maniable, moins lourde. Les antagonistes tournèrent autour du bassin, cherchant une faiblesse dans le regard de l'autre. Une attaque lancée amazone aurait été parfaite, mais la guerrière n'en maîtrisait aucune parfaitement et son adversaire, ayant déjà affronté de véritables Amazones, trouverait la faille.

Le bourreau sauta par-dessus un angle du bassin, porta un coup facilement dévié et Eléanor put lancer une suite d'attaques aux trajectoires troublantes. Toutes furent contrées, jusqu'à ce que l'homme porte une botte. La guerrière la vit arriver, mais eut à peine la force de la dévier. Elle manqua se faire éventrer et son arme lui fut arrachée des mains. L'homme recula d'un pas. Eléanor fut dissuadée de se jeter sur lui, elle aurait été immanquablement abattue.

- Tu peux mourir maintenant, debout, ou reprendre ton arme et perdre, encore plus fatiguée.

Eléanor ramassa le sif et dut subir l'assaut immédiat du bourreau. Il le savait, elle ne pouvait plus rien faire de bon. Elle réussit à remettre le bassin entre eux.

La guerrière interpella sa protégée.

- Sylvie !

Celle-ci, collée à un pilier sur lequel elle cassait ses ongles, se demanda ce qu'on attendait d'elle.

Les adversaires tournèrent encore autour du bassin, lame contre lame. La guerrière détourna un instant son regard vers la fille, sur le côté. L'homme fit de même. Ce fut son erreur. Eléanor bondit au dessus de l'eau et frappa d'estoc. Les armes glissèrent l'une sur l'autre et le sif pénétra les chairs, deux côtes au-dessous du cœur. Eléanor se laissa retomber dans l'eau pour éviter un ultime coup. Le cimeterre à deux mains passa à côté d'elle en coulant à pic.

La guerrière jaillit du bassin. Le bourreau, couché sur le côté, retira le sif de sa poitrine. Il cracha du sang. C'était fini pour lui. Eléanor s'approcha et, par simple précaution, enleva un poignard courbe que le bourreau portait passé à sa ceinture. Elle se mit à genoux dans son dos et passa un bras ridiculement fin autour de son cou de taureau.

- Je suis désolée, dit-elle. Tu étais brave et valeureux. Tu iras au Walhalla, mon frère.

Elle allait le refaire! Sylvie ferma les yeux et se boucha les oreilles en gémissant. Une énorme main agrippa l'épaule d'Eléanor. Mais l'homme ne tenta pas de défaire la prise. Il voulait sentir la vie jusqu'à ce que la glace envahisse son corps. La femme accepta le contact. Il voulut parler mais ne réussit qu'à cracher du sang.

- Je sais, répondit Eléanor, moi aussi.
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Message par Nadrina Lun 28 Avr - 16:59

Chapitre 9


Sylvie sanglotait nerveusement. Eléanor s'accroupit à côté d'elle.

- Que t'arrive-t-il? Tu en as vu d'autres, non?

La jeune se jeta dans les bras de son aînée.

- Oh, Zira! Pourquoi tous ces morts? Dis-moi.

La guerrière releva sa protégée un peu rudement.

- Pour tuer Barhul, bien sûr.

- Mais pourquoi? Tu disais qu'être esclave chez lui valait peut-être mieux qu'une vie libre. Alors pourquoi le tuer?

Eléanor fut interloquée par de tels propos.

- Tu n'aurais jamais dû croire un seul mot de ce que j'ai dit. Je jouais un rôle, rien n'est vrai. Il vaut mieux la mort à l'esclavage.

Sylvie sauta dans la brèche.

- Alors, c'était faux quand tu disais que nous ne pouvions pas être amies.

- Non, cela c'était vrai.

- Je ne te crois pas.

- Réfléchis un peu. Depuis ton entrée au palais, je savais que ton destin était de mourir. D'ailleurs peu de personnes ici survivront. Alors, je ne risquais pas de m'attacher à toi.

Sylvie ne pouvait pas le croire.

- Tu t'es pourtant découverte pour moi.

- Ce n'est pas la mort que j'ai voulu t'éviter, petite. J'ai une vague idée de ce qui t'attendait chez Barhul, après t'être fait briser les doigts. Les tortures qu'inflige un bourreau n'ont rien de commun avec ce que peut faire un magicien. Même moi je suis épouvantée à cette idée. Je ne pouvais pas laisser faire ça. Maintenant, viens. Il y a toutes les chances que l'alerte soit donnée là-haut.


*****

Eléanor emmena Sylvie dans une suite de couloirs. Elle confia à la fille une lampe à huile trouvée à la première intersection et elles continuèrent dans ce qui s'avéra rapidement être un gigantesque dédale. Les couloirs étaient très irréguliers. Grossièrement taillés dans la roche calcaire, ils empruntaient souvent des failles naturelles. Eléanor évita les passages ascendants. Elle comptait aller le plus loin possible sous terre avant de sortir, si possible, au-delà des remparts de la ville. Là, elle pourrait se cacher dans les palmeraies alentour jusqu'à l'arrivée de ses compagnons.

Plus loin et d'avantage dans les profondeurs de la terre, les femmes se glissèrent dans un passage dont le sol était recouvert de graviers et de sable. Eléanor sentit sous ses orteils un objet rectiligne. Elle s'accroupit prudemment et épousseta la surface. C'était une baguette de bois, un déclencheur de piège.

- J'aurais dû m'en douter, ce couloir n'est pas utilisé. On ne trouvera que la mort par là.

Elles rebroussèrent chemin et essayèrent d'autres passages. Plus tard, en progressant dans un boyau, les fugitives virent de loin une forte lumière. Eléanor fit signe à sa protégée de ne pas faire de bruit et de se tenir en retrait. Le couloir débouchait sur une grande salle vivement éclairée par des boules de lumière magique. Son plafond était un haut dôme de pierre et ses murs décrivaient la forme particulière d'une étoile à dix branches. Etonnamment, une multitude d'objets de luxe s'entassaient dans la pièce. Il y avait des tapis partout au sol. Ca et là, des tas de coussins formaient des monticules aux couleurs chamarrées. Des baldaquins tendant des voiles diaphanes délimitaient de petits salons et quelques plats de cuivre, sur des tables basses, contenaient des fruits secs et des sucreries. Personne ne profitait de ce luxe. Eléanor s'avança. Ce devait être la salle de séjour du bourreau. Un tel combattant, le champion de Barhul, méritait ce confort matériel. Pourtant, n'était-elle pas un peu loin du lieu qu'il avait gardé? Avait-elle perdu son sens de l'orientation? Cette salle n'allait pas l'aider car elle desservait dix issues, une à chaque renfoncement qui formait une branche de l'étoile. Sylvie entra à son tour et ne se montra pas moins circonspecte. Eléanor choisit un passage. Une voix les arrêta alors. Cela devenait une habitude.

- Ne bougez plus ou vous mourrez.

La voix venait de la salle, mais personne ne se montra.

- Deux esclaves en fuite! reprit-elle. Je me demande comment vous avez pu arriver jusqu'ici.

Il n'y avait pas d'endroit où se cacher, à part en s'aplatissant derrière un tas de coussins. La salle produisait une curieuse acoustique. L'utilité en devenait claire. Eléanor avait affaire à une personne couverte par un sortilège d'invisibilité.

- Soyons efficace, continua la voix. Il y a des colliers de chien du côté où vous êtes entrées. Mettez-les autour de votre cou et vous vivrez, ne le faites pas et vous mourrez. Décidez-vous vite, je vous prie.

L'homme connaissait son affaire. Il se déplaçait silencieusement pour éviter d'être repéré. Les tapis étaient trop ras pour trahir sa position. Eléanor pouvait ressentir la force de vie de l'homme et donc préciser sa position, mais cela restait insuffisant pour se ruer sur lui. Elle jeta le sif sur le côté.

- Je ne serai plus jamais esclave. Je mourrai en tant que femme libre.

Sylvie réalisa quelle était leur situation. Elle fut prise de tremblements mais se redressa à côté de son aînée.

- Moi aussi.

Eléanor soupira. Elle lui appliqua un coup de coude dans le ventre et la jeta comme un ballot, deux pas en arrière. La jeune resta pliée en deux, le souffle coupé.

- Elle commençait à m'énerver, celle-là. (Eléanor se tourna vers la l'origine supposée de la voix.) Ce n'est qu'une sotte. Elle remontera là-haut. Finissons-en.

- A ta guise. Je vais pouvoir tester le perfectionnement d'une spécialité qui m'est propre. Cela s'appelle le doigt de mort.

Après un petit moment de silence durant lequel l'homme devait changer de place, une incantation se fit entendre. Comme prévu, le magicien redevint visible. Les esprits magiques qui pouvaient générer une couverture d'invisibilité avaient tous en horreur les actions agressives et s'en allaient toujours dans ces cas-là. L'individu pointa son index droit. Une puissante énergie verte s'y forma. Le trait magique partit. Eléanor interposa ses mains nues. L'énergie explosa dans un choc sonore très particulier. La femme secoua sa main gauche fumante, et montra à son tour son index droit au magicien éberlué. Elle le railla.

- Le doigt de mort, hein?

Eléanor se précipita sur l'adversaire. Celui-ci prononça une seule rune et une vague de feu sortit d'un gros médaillon qu'il portait attaché autour du cou. Les flammes déferlèrent devant lui, consumant instantanément tapis et coussins. La femme traversa le mur de feu et enfonça son doigt comme une pointe, entre deux côtes du magicien, en plein cœur. L'homme s'effondra, Eléanor faillit s'écrouler sur lui. Elle se trouvait affaiblie. Elle vérifia que ni ses cheveux ni son pagne ne brûlaient. Ce n'était pas le cas. En revanche, derrière elle, une centaine de coussins étaient en feu.

- Stupides magiciens, maugréa la guerrière, ils croient invariablement que leur science et leurs pouvoirs seront supérieurs à la force de vie.

Sylvie parvenait seulement à reprendre son souffle. Elle dit sur un ton d'excuse:

- Je n'aurais pas dû croire que nous allions mourir, n'est-ce pas ?

- Bien sûr que non! Je t'ai dit que je te sortirai d'ici et que tu seras en vie, sauf si tu veux vraiment passer devant.

- Tu ne crains personne?

- Je te l'ai dit aussi. Il n'y a que Barhul qui puisse m'inquiéter. La force de ses sortilèges doit être supérieure à mon Ki.

Sylvie se demandait sérieusement si elle n'avait pas affaire à un ange vengeur, ou en tout cas à une créature dont seule l'apparence était humaine.

- C'est quoi?

Eléanor retrouvait visiblement sa vigueur. Elle reprit le sif tout en expliquant.

- Le Ki est une force produite par tout être vivant, homme, animal et en quantité moindre par les plantes. Les maîtres Ki peuvent la canaliser et s'en servir pour guérir. Ils peuvent même l'utiliser comme une arme. Je ne suis qu'une débutante. Je suis tout juste capable d'utiliser mon propre Ki pour me protéger. J'arrive tout de même à drainer un peu. J'ai ainsi pu faire sombrer Hourphed dans l'inconscience pour qu'il ne risque pas de se réveiller pendant que j'étais partie. Si tu veux savoir, de la même façon que pour le mur de feu, j'ai survécu à un piège magique explosif placé sur une porte, et ils étaient tous persuadés que le corps de la victime avait été emmené par des complices. J'en ris encore.

Les femmes sortirent par une des issues. Elles avancèrent de nouveau dans de longs tunnels.

- Eléanor...

- Chut! Je te signale que la mort du magicien a eu des témoins. Et là, nous arrivons dans leur repaire. Je vais pouvoir me défouler un peu. Glisse-toi là et ne bouge pas.

La guerrière prit la lampe et poussa Sylvie dans une anfractuosité qui devait être la base d'une faille qui avait été élargie pour obtenir le couloir dans lequel elles se trouvaient. Eléanor partit ensuite au pas de course. Des cris inhumains retentirent. Des bruits de lutte s'y mêlèrent. Des injonctions fusèrent et des hurlements finirent par tout dominer. Les bruits décrurent, puis recommencèrent de nouveau. Deux créatures en fuite passèrent près de Sylvie. Quelques cris isolés retentirent encore, puis un silence inquiétant tomba. Eléanor revint peu de temps après. Elle lança un brandon au loin pour s'assurer que personne ne les guettait dans l'obscurité du passage.

- Viens, la voie est libre, mais il y a des fuyards partout. L'alerte sera forcément donnée si ce n'était pas encore fait.

Sylvie se releva.

- C'était quoi?

- Des gobelins. Tu n'en as jamais vu? Ces créatures sont si faibles, je me demande bien à quoi elles pouvaient servir. Barhul a des soldats. Peut-être surveillaient-elles le désert ? Dans ce cas, il y a une sortie pas loin.


*****

Les femmes arrivèrent dans une immense grotte, desservie par plusieurs tunnels et comportant des niches suffisamment importantes pour faire office de pièces annexes. Il y avait eu là tout un centre de vie, avec des dortoirs, une "cuisine", une zone dominée par un trône de bois. Eléanor perçut un mouvement fugace du côté d'un autre tunnel. Elle partit comme une flèche. Laissée seule, Sylvie contempla la vaste grotte où s'étalait un carnage abominable. Elle se sentit toutefois plus détachée face à ces monceaux de cadavres inhumains qui n'étaient plus agités par les derniers spasmes. Les gobelins, ou hommes-singes, dépassaient rarement un mètre quarante de haut. Pour les humains, ils provoquaient toujours de l'aversion au premier regard. Sans doute pour être des caricatures d'eux-mêmes, avec leurs faces grossières rongées par les poils qu'ils avaient longs sur tout le corps. Les fourrures jaunâtre ou brunes étaient rougies de leur sang, écarlate comme celui des hommes. Or, ils évoquaient aux yeux de Sylvie d'avantage des lapins égorgés que des cadavres d'êtres éclairés. Les gobelins, moins résistants que les humains, avaient été tranchés par la lame d'Eléanor et ce, malgré les protections de cuir de certains. Au moins deux cent corps étaient éparpillés dans la salle, parfois amoncelés en monticules, là où les créatures avaient tenté d'écraser la guerrière sous le nombre. Celle-ci revint. Elle était d'avantage couverte de sang que jamais. Et toujours aucune goûte du sien s'y mêlait.

- Tu aurais dû retourner dans le tunnel. Certains ont des arcs.

Sylvie ne répondit pas. Eléanor plaça dans les mains de la blonde un énorme brilleur magique, semblable à ceux contenus dans les lanternes de patrouilles, mais projetant une lumière aveuglante. Puis elle la tira dans un nouveau couloir. A chaque détour, Eléanor guettait attentivement tout signe éventuel de danger.

- Tant qu'ils se croyaient plus forts, émit-elle en commentaire, ils attaquaient bêtement. Maintenant, ils sont presque plus dangereux: ils vont essayer de nous piéger et de nous abattre à distance.

Un peu plus loin, Sylvie ne put s'empêcher de demander :

- Tu ne m'as toujours pas expliqué pourquoi tu te faisais passer pour une esclave. Tu aurais pu éviter le coup de couteau que je t'ai donné, non?

Eléanor s'arrêta dans un coude du tunnel que la lampe pouvait éclairer entièrement.

- J'aurais pu te contrer de la même façon que j'aurais pu briser Leifa et sa clique. Tu l'as dis, je me faisais passer pour une esclave.

- Mais pourquoi cette histoire de médaillon? Si tu n'as pas tué Barhul, c'est que tu as échoué, non?

La guerrière prit une profonde inspiration pour tout expliquer.

- Barhul n'était pas mon objectif. Il fait partie de ce que nous appelons les Magiciens des Sables. Leur puissance est devenue immense depuis qu'ils sont restés quasiment les seuls détenteurs de magie depuis l'Armageddon. Le vrai problème est la confrérie très organisée qu'ils forment. J'œuvre pour le Chaos. Vois-tu, notre but est d'empêcher une puissance ou un pays de contrôler une trop grande partie du monde. Il faut préserver l'équilibre entre une multitude de petites nations, sinon il y aura d'autres catastrophes comme l'Armageddon. Les Magiciens des Sables pourraient bien conquérir le monde. Nous en avons éliminé quelques-uns, mais tous ne mènent pas une vie publique comme Barhul. La majorité se terre dans leur repaire et on ne les connaît même pas. Il fallait que je reste chez Barhul pour en apprendre le plus possible sur ses invités, ses pairs.

- Et moi, alors?

Eléanor enleva une bande de tissu enroulée autour de son poignet gauche. Un petit disque d'or en tomba, un peu plus gros qu'une pièce de monnaie. Elle le mit sous le nez de Sylvie pour qu'elle puisse voir la multitude de minuscules signes cabalistiques qui couvraient chaque face.

- Ceci était à l'intérieur du médaillon que tu portais. Je devais le placer dans la salle ou à proximité du lieu où arrivent les invités quand ils se déplacent par magie. Ce truc aurait inscrit en lui tous les lieux de départ et d'arrivée et on aurait ainsi pu savoir là où se terrent les autres magiciens.

- Et tu as réussi? demanda Sylvie avec une certaine anxiété.

- Je ne sais pas. Pour bien faire, il aurait fallu le laisser plus longtemps. Le soir où je t'ai pris le médaillon, je n'ai pas réussi à trouver la salle de magie. Je n'avais pas fait suffisamment de repérage des lieux. En plus, il me fallait partir de la cour basse. Et pour couronner le tout, je n'avais qu'un bras valide. Après, j'ai eu ma promotion à la cour haute, ce qui me rapprochait de mon but. Mais là, je ne pouvais quitter les dortoirs sans être vue. Alors, j'ai drogué de la nourriture pour créer une nouvelle alerte. Comme je l'espérais, je suis redevenue responsable et donc plus libre de mes actes. Cette nuit, j'aurais pu tout réussir. J'étais dans le lit d'Hourphed. J'ai drainé une partie de son Ki afin qu'il tombe dans un sommeil comateux et j'ai placé le disque sur un mur de la salle. Au passage, j'ai éliminé quatre sous-fifres que je savais dangereux. C'est alors que j'ai dû te sauver, ma petite. (Eléanor secoua Sylvie par l'épaule en lui faisant un grand sourire pour bien lui montrer qu'elle ne regrettait rien.) J'ai repris le disque et j'ai placé l'enveloppe, ce qui était visible de ton médaillon, dans la salle d'études magiques de Barhul. A cette heure-ci, tout a dû y être détruit. J'espère que les distorsions magiques auront averti mes amis et qu'ils seront bientôt là... S'ils n'étaient pas trop loin. En route, maintenant.

- Mais... J'ai été vendue juste pour que tu aies le médaillon?

Eléanor parut ennuyée.

- J'ai communiqué de nombreuses fois avec l'extérieur. J'ai reçu des messages, de petits objets magiques comme des détecteurs, ainsi que des drogues. Au début, on a utilisé les esclaves qui sortaient en ville. Avec une bonne influence mentale, une fois rentrées, elles me remettaient l'objet sans se souvenir de l'avoir fait. Mais après l'histoire du marchand...

- Le marchand ?

- Oui, c'était un invité de Barhul. On l'avait complètement gavé de consignes mentales. Il m'a aidé à faire mon premier repérage de la cour haute. Mais on l'avait vu et il suivit son ultime consigne: se donner la mort avant d'être arrêté. Barhul ne put rien découvrir mais, après cette alerte, on savait qu'il serait méfiant. Il pouvait même se douter de l'utilisation de charmes et il avait les moyens de contrôler tout le monde. C'est pour cela que tu as été achetée et revendue. Comme tu ne savais rien, ils ne pouvaient rien apprendre. Au moment où tu es arrivée ici, il était encore facile de sortir. Je pense que tu aurais dû être gardée pour plus tard, mais il est impossible de tout anticiper parfaitement.

Eléanor resta silencieuse un instant et ajouta sur un ton de confession.

- Le soir où je t'ai pris le médaillon, Hourphed aurait dû s'en apercevoir. Tu aurais été interrogée. Un petit test de vérité aurait révélé que tu n'avais rien d'une complice et ce ne serait pas allé plus loin. Je me suis mal débrouillée. Enfin…

Les deux femmes repartirent. A présent Sylvie connaissait la situation. Elle ne parvenait toutefois pas à en tirer de conclusion : être outrée, furieuse ou, au contraire, être satisfaite d'avoir participé à la lutte contre ces esclavagistes.
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Message par Nadrina Mer 30 Avr - 2:51

Chapitre 10



Des bruits de course s'éloignèrent devant les femmes. Des gobelins surveillaient leur progression d'aussi loin que possible. Eléanor redoutait qu'ils utilisent des arcs. Heureusement les couloirs, le plus souvent faits de passages naturels aménagés par une taille grossière, offraient une condition de tir difficile. Il y avait un autre avantage à être surveillé par les gobelins: là où ils fuyaient, il n'y avait pas de piège.

Un éclairage puissant annonça une salle devant elles. Eléanor donna ses consignes à Sylvie.

- Pose la lampe ici et avance un peu. Ceux qui nous suivent n'oseront pas se montrer dans la lumière. Reste dans l'ombre du couloir, sauf si on arrive derrière toi. Dans ce cas, tu cries et tu rentres dans la salle.

Progressant seule, Eléanor déboucha dans une grotte plus petite que celle du magicien. Il y avait du sable au sol. Trois autres issues en partaient. On y attendait la guerrière de pied ferme. Deux gobelins tenaient leur glaive fièrement, à présent qu'ils avaient avec eux trois créatures d'une race inconnue d'Eléanor. Elles étaient humanoïdes, voire presque humaines, si ce n'était leur peau faite de plaques cornées couleur sable. Chacune était armée de deux Katars. Un rictus malveillant fendait leurs têtes rondes comme des boules de pierre. La guerrière courut sur le côté pour éviter d'avoir les trois monstres de front. Elle décapita un gobelin au passage et recula. La tactique sembla déconcerter les trois monstres. L'homme-singe survivant battit en retraite. Eléanor frappa en restant hors d'atteinte des poignards adverses. Un magnifique mouvement de lame cueillit une tête grossière et s'arrêta sur le cou. Eléanor aurait pu frapper un rocher. Le choc se répercutant dans ses bras lui fit lâcher la grande arme. La femme recula jusqu'à la paroi. Les monstres gloussèrent et entourèrent la guerrière. Celui au centre, plus proche que les autres, exprima sa jubilation avec une surprenante voix très humaine.

- Le maître nous a donné la dureté de la pierre. Aucune arme ne peut traverser notre peau.

Un autre fit valoir son centre d'intérêt:

-  Attrape-là, on va s'amuser un peu.

Le premier lâcha ses poignards et s'approcha. Eléanor ne bougea pas et des mains énormes la saisirent. Elle administra alors un coup de paume fulgurant sur le front osseux de la créature. Celle-ci demeura immobile durant un instant, puis tomba en arrière, les doigts encore crispés. Les deux autres regardèrent avec stupéfaction le corps de leur congénère. Du sang coulait des trous remplaçant ses oreilles ainsi que de ses narines surmontées d'une esquisse de nez.

- Vous étiez humain, n'est-ce pas? demanda Eléanor avec un sourire malicieux. Votre peau est en effet aussi dure que de la pierre, mais vos organes sont toujours aussi sensibles et vos os trop durs pour amortir le moindre choc. Un coup bien placé résonne dans votre corps comme un gong. Je vais vous délivrer de votre pitoyable condition.

Les monstres se ruèrent sur la guerrière. Eléanor s'esquiva en roulant entre eux, puis continua à se déplacer par des acrobaties en cherchant l'occasion de frapper l'un sans être tuée par l'autre. Elle n'hésita pas à les narguer.

- Et en plus vous êtes moins rapides qu'un vieillard. Finalement, il n'y a que votre prétention à avoir été améliorée.

Ils finirent par commettre une erreur de placement. Eléanor tua l'un d'un coup de pied au cœur, fit basculer l'autre au sol et le frappa de sa main ouverte à la base du crâne.

La guerrière s'appropria une ceinture beaucoup trop grande pour ses hanches ainsi que deux katars. Ces poignards, idéaux pour le corps à corps, se manipulaient à peu près comme les saïs orientaux qu'elle maîtrisait parfaitement. Ainsi armée, elle aurait pu se débarrasser du bourreau bien plus facilement, mais elle aurait pris plus de risques contre les gobelins. Il fallait faire des choix et les assumer.

Sylvie rejoignit sa compagne.

- Tu es aussi forte qu'une héroïne de légende!

L'aînée soupira.

- J'aurais peut-être pu l'être, si ceux qui m'entourent n'étaient pas plus puissants que moi. Sans eux je n'aurais pas été grand-chose.

Les femmes empruntèrent un nouveau passage après avoir récupéré le brilleur.

- Qui êtes-vous, toi et tes compagnons? Le bourreau semblait vous connaître.

Eléanor fit brusquement demi-tour et traversa la grande salle à toute allure. Un gobelin usa de son arbalète. La guerrière attrapa le carreau en plein vol et plongea sur la créature. Cette dernière fut neutralisée sans même pouvoir comprendre de quelle façon. Eléanor ramena le gobelin dans le couloir et donna une explication à Sylvie.

- J'avais vu ce petit malin épier le combat. J'attendais qu'il sorte de son trou, ce qu'il a fait dès que nous avons tourné le dos. A présent, il va gentiment nous indiquer la sortie. Il n'y a pas besoin de longues tortures pour tout obtenir d'un gobelin. N'est-ce pas, toi ?

En effet, l'homme-singe se soumit. Comme beaucoup de ses congénères, il comprenait bien les langages humains et sa gueule lui permettait de prononcer suffisamment de mots. Il dirigea les femmes jusqu'à un point d'eau d'environ six pas de diamètre. C'était la source d'un puits dont la bouche, très large, s'ouvrait vingt pas plus haut. Eléanor brisa la nuque du monstre et voila en urgence la lanterne magique. Mais la vive lumière avait peut-être déjà été vue d'en haut. La guerrière murmura.

- On doit être au-delà des remparts de la ville. Cela m'étonnerait que Barhul ait laissé sans surveillance une entrée de ses souterrains. Reste là. S'il y a un problème, crie et plonge.

- Comme d'habitude, quoi.

Eléanor glissa dans l'eau. Elle atteignit la paroi taillée dans la roche et commença son ascension. Les prises étaient bonnes, mais, après quelques mètres, la surface s'inclinait au-dessus du vide pour réduire l'ouverture du puits à une large cheminée. A mi-parcours, la femme atteignit une section cylindrique dont le revêtement était de la pierre taillée. Les prises devinrent beaucoup plus difficiles, mais elle pu continuer à monter, confortablement, en opposition. Au-dessus de sa tête, le ciel étoilé était encore bien noir. Il n'y avait aucun bruit signalant une présence autour du puits. Se tenant de ses doigts à la margelle du puits, vulnérable, elle risqua un regard par-dessus le bord. Elle tomba face à des yeux rougeoyants et une gueule incandescente qui lui cracha un souffle brûlant au visage. Eléanor lâcha prise et retomba de toute la hauteur en poussant un cri typiquement féminin. Dès qu'elle émergea de l'eau, elle hurla à pleins poumons.

- Drakor! Stupide dragon, refais ça et je te tords le cou.

Tout sourire, elle rejoignit Sylvie.

- Il n'y a plus rien à craindre. Mes amis savent où je suis. S'il y avait des gardes, Drakormoth s'en est occupé.

Eléanor allait lui dire de la suivre, mais elle annonça plutôt :

- Attends encore un peu, je t'envoie une corde. Il y en a forcément une là-haut.

La femme recommença son ascension et dut franchir de nouveaux le difficile étranglement en voûte. Elle pesta contre le familier de son mari, puis contre elle-même qui aurait dû demander à la créature de faire tomber la corde du puits.

*****

Bientôt, Sylvie atteignit également la surface en s'accrochant à une corde tirée par une mule. Le sable du désert était déjà sous leurs  pieds mais elles étaient encore entourées de végétation. Il faisait trop sombre pour distinguer les détails de leur environnement. La jeune savoura un instant le grand air, la sensation de liberté, le goût de la vie. C'est alors qu'une appréhension l'oppressa. Puis tout se précipita. Le tonnerre gronda. Les étoiles disparurent. Des bandes nuageuses devinrent visibles, éclairées par une lueur verdâtre qui leur était propre et qui gagnait en puissance. Ces nuages convergèrent et devinrent une spirale dont le centre s'ouvrit en un vortex rouge qui vomit des éclairs, secouant tout l'univers.

Eléanor exprima une colère digne d'une gamine.

- Ah les rosses! Ils commencent sans moi! Il va y avoir des explications. Bon, Sylvie, c'est ici que nos routes se séparent. Il faut que je me dépêche ou je vais rater la fête. Bonne chance.

La jeune resta paralysée de stupéfaction. Eléanor courait déjà quand la première cria.

- Zira! Tu ne peux pas me laisser là!

Eléanor s'arrêta net. Elle revint sur ses pas, l'expression plus dure que jamais, voire mauvaise.

- Pourquoi ne pourrais-je pas le faire? Qui pourrait m'en empêcher? Tu veux toujours passer outre mes conseils. Je t'avais dit de ne t'attacher à personne, que je ne m'attachais à personne. Tu vis, sois-en heureuse.

- Mais que vais-je devenir?

Le ton de l'assassin se radoucit à peine.

- Sans doute une esclave chez un autre maître, ni pire ni meilleur. Tu es inquiète pour l'instant, car ton proche avenir te semble hasardeux, pourtant il l'est toujours, même si un milieu familier te donne l'illusion de mieux contrôler le destin. Va, Sylvie, la vie continue. Tu es plus forte maintenant.

La jeune s'accrocha à Eléanor.

- Emmène-moi avec toi, je t'en prie, je t'en supplie. Ne me laisse pas.

La guerrière repoussa Sylvie avec une violence douloureuse. La blonde tomba à la renverse. Des explosions déchiraient la nuit, des hurlements de terreur s'élevèrent de la ville entière.

- Et que ferais-je de toi, petit chaton? Là où je vais, ce sera l'enfer pour toi.

Eléanor faillit tourner des talons, mais ajouta sur un ton qui restait sec:

- Je ne dis pas ceci pour te faire de la peine. Je crois que tu n'as pas bien réalisé quels sont tous les aspects de la situation. Qui a scellé le médaillon autour de ton cou? Celui qui t'a violée et j'imagine parfaitement de quelle façon. C'est évidemment quelqu'un de mon équipe. Et tu voudrais le revoir? Tu ne pourrais pourtant pas le reconnaître, mais lui ne te raterait pas et je ne pourrais pas t'en protéger. Il s'agit de mon mari, le père de mes enfants et...

Eléanor ne put prononcer un mot de plus, sa propre situation se superposant à celle de la fille l'écrasa. Sylvie, au sol, pleura, c'est tout ce que la vie lui autorisait.

La guerrière s'en fut.


*****


Deux jours durant, Sylvie marcha dans le désert de sable avec un groupe d'une trentaine de personnes et quelques chameaux. Ces gens fuyaient la cité d'Al'Khir, sans savoir si elle était encore habitable ou non, après cette nuit où les puissances magiques s'étaient déchaînées, semblant plonger le monde dans un nouvel Armageddon. Le chef du groupe, Harshish, était un homme vieillissant qui possédait pourtant une énergie à faire envie à un jeune homme. Sylvie ne savait pas quelles étaient ses intentions à son sujet: ou la garder avec ses autres femmes, ou la vendre à la première ville venue. Elle n'était même pas sûre que cela ait une importance à ses propres yeux. Elle se sentait aussi sèche que tout ce sable.

Alors que les forces magiques avaient embrasé la ville, Sylvie s'était cachée au milieu de la végétation et avait subi son désespoir. De nombreuses personnes en fuite étaient passées plus ou moins près d'elle tant que dura la bataille. Le soleil s'était levé une heure après le début de l'affrontement. Sylvie avait alors découvert les gardes en faction près du puits, brûlés ou lacérés d'horrible manière. La jeune avait alors fui ce lieu et était arrivée presque aussitôt sur Harshish et son groupe. Ils l'avaient recueillie et avaient pourvu à ses besoins.

La progression dans le sable était plus pénible qu'aucun voyage qu'on avait fait subir à Sylvie. On cria l'alerte. Aussitôt, les hommes se placèrent face au danger potentiel et les femmes se regroupèrent de l'autre côté de la ligne de chameaux. Sylvie resta un peu pataude au milieu des deux. Ce devait être une fausse alerte: seulement trois cavaliers du désert, contrôlant cinq chameaux très chargés, arrivaient sur eux. Seul l'homme de tête, sûrement le garde d'un marchand, était lourdement armé, son grand manteau du désert s'ouvrant sur une cotte de mailles. Il arrêta sa monture à dix pas d'Harshish, la menace des deux archers du groupe le dissuada sans doute d'être plus hardi. En réponse à la méfiance des hommes de la caravane, le cavalier leva au niveau de son corps un bouclier rond de bronze. Puis, il écarta le pan de tissu qui protégeait son visage. A la stupéfaction des fuyards, c'était celui d'une femme.

- Zira!

Sylvie bondit en avant tout en se découvrant, mais elle fut arrêtée par Harshish. Eléanor dit avec autorité:

- Cette femme est à moi.

Elle dégaina d'un fourreau de selle une épée droite qu'elle brandit. C'était une arme du nord, un objet magique dont la lame s'entoura de flammes rugissantes. Le cœur de tous les hommes faiblit. Ils reculèrent derrière la ligne de chameaux et s'enfuirent le plus dignement possible. Sylvie resta plantée sur place contemplant la guerrière, magnifique comme une légende, dans sa tenue de fer et de tissu immaculé. Quand la jeune réalisa qu'elle n'était plus retenue, elle se précipita.

- Eléanor, tu es revenue!

La femme rengaina son épée et sauta à terre, dans les bras de sa jeune amie.

- Je suis revenue. Je ne pouvais pas t'abandonner. Tu as toujours eu raison.

Sylvie se blottit contre la guerrière. Elle sentait le tissu propre chauffé par le soleil, le métal et l'huile pour protéger celui-ci, ainsi que le cuir et tout ceci se mariait parfaitement à son parfum personnel. La jeune prolongea cet instant où elle éprouvait une sécurité totale, tellement l'aura de force d'Eléanor était grande. Elle l'avait toujours été.

- Oh, Eléanor! J'ai vraiment cru ne jamais te revoir. Comment m'as-tu retrouvée?

- Un ami m'a guidé jusqu'à toi. J'ai réfléchi. Je peux sans doute t'aider plus que je ne l'ai fait. (Elle leva un bras pour présenter le premier des deux hommes de sa caravane) Ishad Ibn Irkader est un marchand qui compte remonter le plus au nord possible afin de revendre ses produits qui gagneront d'autant en valeur. J'ai conclu un marché avec lui: il t'emmènera dans son voyage et te laissera où tu le souhaiteras. Il t'aidera même à t'établir si tu vois l'opportunité de monter un commerce par exemple, ou acheter une ferme. Mais le mieux serait de trouver un homme qui t'aimera.

Eléanor prit Sylvie sous son bras et s'éloigna des chameaux. La cadette avait du mal à réaliser ce nouveau virage dans sa vie. La guerrière reprit sur un ton confidentiel.

- Ishad Ibn Irkader ne fait pas ceci par grandeur d'âme, je lui ai promis une solide récompense quand il arrivera chez moi, en Vorkar. Il me remettra une lettre que tu feras écrire, pour me donner de tes nouvelles et me dire quelle somme il a dû investir. Toutefois, il ne faut jamais faire confiance à un marchand. Alors, écoute bien. Ton message devra contenir les mots exacts : "En souvenir de toi, Zira." Si ce n'est pas le cas, je conclurai que la lettre n'est pas de toi et qu'il t'a laissée en mauvaise posture. Je m'occuperai alors de lui faire dire la vérité. C'est vraiment le mieux que je puisse faire pour toi. As-tu tout compris?

C'était plus que Sylvie n'avait jamais espéré avoir. Pourtant elle aspirait à autre chose. Elle lâcha:

- Je crois que je suis enceinte.

Eléanor s'assit dans le sable et réfléchit un instant.

- Cela ne change pas grand-chose. Que tu sois la mère d'un de ses enfants ne te protégera pas nécessairement de lui, quoique... Tu serais vraiment prête à lui faire face ? Tu sais ce dont il est capable.

Sylvie s'écroula.

- Je veux juste rester avec toi.

- Oh, Sylvie! Je ne pourrais pas te protéger. Il y a des choses qui me sont impossibles.

- Tu me protégeras. Tu l'as toujours fait.

C'était au tour des yeux d'Eléanor de s'emplir de larmes.

- Tu ne te rends pas compte de ce que tu me demandes. Victorien est un magicien devant lequel Barhul est un enfant. Il fut un messie pour moi. La magie rend fou. Il faudrait que je le tue...

Eléanor serra les poings et ferma les yeux de toutes ses forces. Des larmes coulèrent sur ses joues. Elle ajouta dans un souffle: "Je l'aime."

Sylvie comprit qu'elle serait en effet seule face à l'homme de ses cauchemars.

- Je voulais juste rester ton amie.

La voix d'Eléanor était rendue rauque par l'émotion.

- J'aimerais aussi avoir une véritable amie, même si tout nous sépare, nos âges, nos vies, mon entourage...

La guerrière se releva d'un coup, les poings toujours serrés. Elle refusait d'être impuissante. Pour une fois, elle agirait d'elle-même.

- Ecoute, il y a d'autres solutions. Tu es assez frêle, mais tu pourrais devenir archère chez les Amazones. Mais c'est beaucoup de souffrances et on y apprend à tuer. Sylvie, je ne voudrais pas que ta pureté soit rougie par la haine, noircie par la mort, comme ce fut le cas pour mon âme. Va avec Ishad et si un destin favorable ne te tend pas les bras comme tu le mérites, monte jusqu'à Vorkar. Je conquerrai une ville s'il le faut pour t'y mettre à l'abri, mais je te protégerai.

Sylvie retrouva les bras d'Eléanor. Les deux femmes échangèrent une longue étreinte: une étincelle dans la tourmente du temps, mais qui suffit à emplir leurs deux cœurs.

FIN
Nadrina
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